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Publié par blog813

 
 Deux très belles réussites, deux coups de cœur de la rentrée : Avis à mon exécuteur de Romain Slocombe (Robert Laffont) et Hérétiques de Leonardo Padura ( Métailié) plongent dans les pages bien sombres de l’histoire mondiale : les purges staliniennes pour le premier, la condition des  juifs à toute époque pour le second.  Par delà le souffle de l’histoire, ces écrivains s’interrogent et nous interpellent : les libertés individuelles, la possibilité même d’être libre,  se battre pour la liberté d’autrui : ainsi Victor Krebnitsky, le narrateur dans le roman de Slocombe  aurait bien des choses à dire à Elias, Judy ou Mario Conde, les personnages de  Padura. Chacun d’entre eux lutte contre les pouvoirs, les religions, contre eux-mêmes.  Une anecdote,  dans un précédent roman de Padura, " L’homme qui aimait les chiens" Ramón Mercader était un des personnages principaux : il fut l’assassin de Trotski dont il est fait souvent mention dans le roman de  Slocombe.

Ça commence par ce qui pourrait être un simple fait divers.  En 1941, un homme est retrouvé, une balle dans la tête, dans un hôtel de Washington. Suicide ? Mais cet homme était un agent secret des services secrets de l’armée rouge et les hommes de Staline qui le pourchassaient ont les moyens de transformer leur crime en suicide. Quand on découvre page après page le livre testament du mort, Victor Krebnitsky, intitulé " Le grand mensonge", on réalise que sa mort n’est que le dernier acte d’une fuite insensée d’un homme qui a vu tous ces idéaux, ses rêves, brisés, anéantis,  au fur et à mesure qu’il se rend compte des crimes abominables de Staline et de quelques uns de ses sbires.  Ainsi, au fur et à mesure de sa longue confession, Victor nous raconte les espoirs fous que lui et ses camarades avaient placé dans le communisme. Il explique sa joie lorsqu’il part lutter aux côtés des républicains pour qu’enfin, les travailleurs du monde entier accèdent à la liberté, au pouvoir et qui sait au bonheur. Mais ses enthousiasmes s’effritent.

Petit à petit, il voit les premiers meurtres, le premier grand procès contre les vieux bolcheviks, Zinoviev et quinze autres. Lui-même reste un exécuteur des basses œuvres du pouvoir, et si sa foi vacille, il reste persuadé de détenir la vérité, qu’il est du bon côté et que ces meurtres, toutes ces vilenies, ces compromissions sont au service de la bonne cause. Jusqu’au jour où il tombe sur un secret bien gardé de la vie du " Petit père des peuples". Jusqu’au jour où on lui demande de participer à l’assassinat de son meilleur ami et de sa femme....

Avis à mon exécuteur est tout d’abord une compilation impressionnante des connaissances qu’a accumulées Romain Slocombe sur la très noire période stalinienne à partir de 1930. Tous ces faits mis à bout sont une charge implacable contre Staline et le régime de terreur qu’il avait instauré. Cependant, ce livre est une fiction, fort bien menée, fort bien rythmée.  Cela permet à Romain Slocombe de faire entrer dans ce récit, dans cette litanie insensée des crimes commis, le peu d’humanité qui peut subsister. Et, en filigrane, d’explorer avec subtilité, clairvoyance  et beaucoup d’humanisme les tréfonds de l’âme humaine dans la tourmente. Et parce que c’est une fiction,  de ne  porter de jugement sur les pauvres pantins tour à tour bourreaux puis victimes, aveuglés par leur foi idéologique. Ce roman apprendra beaucoup à ses lecteurs, le laissera pantois, ébahi par ce qu’on peut certainement qualifier de génocide. Enfin gageons que certains y verront des échos avec notre époque épique."Même avec les sociaux démocrates, les capitalistes étaient devenus impuissants devant le mécontentement des classes laborieuses et ils n’avaient plus d’autres choix que de recourir au fascisme et à ses méthodes de terreur. "

 

 

Autre citation, autre roman, celui du cubain Leonardo Padura. "Ils n’avaient d’autres choix que de résister comme des survivants", voilà comment Leonardo pésente son personnage Mario Conde et ses compatriotes. Dans cette phrase deux mots-clés, résister ; survivre : ainsi en 1939, à La Havane,  Daniel Kaminsky qui voit, enfant, le S.S. Saint Louis s’éloigner avec 900juifs à son bord dont ses parents et sa sœur, bateau fantôme rejeté par tous, et dont les voyageurs finiront pour la grande majorité dans les camps de concentration.

Résister, choisir sa vie, être libre de pratiquer l’art de la peinture et des portraits quand on appartient à la communauté juive très pratiquante d’Amsterdam, cette " Nouvelle Jerusalem",  en 1643. Tel est le destin d’Elias Ambrosius, déchiré entre sa religion et le désir de devenir l’élève du plus grand, Rembrandt. Peindre des portraits ferait de lui un hérétique, mais Dieu n’a-t-il pas créé l’homme pour qu’il ait un libre arbitre, pour choisir sa voie sans la contrainte et la pression de dictateurs de la pensée.

 Résister, survivre tel un fantôme à La Havane en ce début du XXIe siècle, pour la très jeune Judy, qui choisit donc, dans ce Cuba en proie à la misère, où les jeunes n’ont aucun choix d’avenir, de rejoindre la bande des  " emo" (= emotionnal), faire partit d’un clan dont les individus, dépressifs se donnent la liberté de choisir le suicide. Fil conducteur qui relie ces destins, un petit portrait de Jesus signé Rembrandt, qui aurait pu sauver la famille Kaminsky en 1939,  visage ressemblant  beaucoup à Elias Ambrosius. Le tableau ayant mystérieusement  réapparu dans une salle des ventes, le fils de Daniel Kaminsky, exilé à Miami revient dans la capitale cubaine demander de l’aide à Mario Conde.

Que ce soit son enquéteur fétiche ou tout autre personnage, ils sont tous confrontés ici au problème universel des libertés individuelles et du libre arbitre.  Comment, englué dans ses atavismes, ses croyances, voire sa famille, un homme peut revendiquer des choix personnels, un tracé de vie,  surtout lorsqu’il vit une période troublée de l’histoire. Avec un talent fou, Leonardo Padura se garde bien de trouver une réponse, nous livrant une fresque romanesque autour d’un Dieu au visage tellement humain.... Un roman ample,  riche en émotions, où l’humour et la dérision ont toujours leur place grâce à ce détective bibliophile, témoin de l’histoire cubaine, Mario Conde.

Corinne Naidet.

 

 

 

Le coup (double) de ♥ de Corinne- L’Histoire au noir..
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S
Merci Corinne pour cet article intéressant.
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