Ça n'est pas parce qu'on a traduit un roman que cela empêche de l'avoir apprécié et de vouloir partager un coup de cœur. C'est le cas de notre ami Gérard Lecas avec ce roman italien, à paraître chez Rivages.
L’histoire se passe en 1999. Roberto De Angelis est flic à Bari, dans les Pouilles, sud de l’Italie. Il a dépassé la cinquantaine, est divorcé, vit seul, sans enfants. Il mène une vie de célibataire, se nourrissant de fast-food, traînant la nuit dans tous les bars. C’est un flic très efficace, il a toujours obtenu de bons résultats, son supérieur lui fait confiance. Pourtant, il est arrivé au bout de la route. A une époque, il croyait en son travail, en sa mission. Puis, dans les années 90, il a participé à une vaste enquête concernant la corruption du milieu politique local, les liens entre les entrepreneurs, les politiques, la mafia. Enquête qui a abouti à un grand coup de filet et à bon nombre d’inculpations. Mais des années après, rien ne s’est passé, aucun procès ne s’est ouvert, les magistrats ont peur et les corrompus sont toujours à leur place, plus souriants et rigolards que jamais. Depuis, le mal et le doute rongent Roberto.
L’élément déclencheur de son basculement va être la surveillance qu’il exerce sur un petit dealer, Giacinto Trentadue, un garçon de vingt huit ans. Giacinto fait partie de la bande d’Episcopio, un chef de gang à la tête d’un réseau de trafic de drogue. La surveillance qu’exerce Roberto sur lui va mener le flic jusqu’à un quartier excentré de la ville, dans une résidence entièrement investie par les membres du gang Episcopio. Celui-ci a décidé d’éliminer tous ses concurrents. Et un des instruments de cette guerre, c’est Giacinto. Giacinto est un tueur. Son monde gravite autour de quelques valeurs simples, l’argent, les femmes, la drogue, l’alcool et la bonne bouffe, rien d’autre. Et l’obéissance aveugle aux ordres.
A travers Giacinto, Roberto va infiltrer la bande. Assez vite, une sorte de lien d’amitié va se nouer entre les deux hommes, un rapport père-fils inavoué. A la même époque, Roberto, qui collectionne les liaisons éphémères, rencontre une femme qui l’attire beaucoup plus que les autres. Elle est médecin, une trentaine d’années. Mais a des tendances sexuelles très particulières : elle ne connaît le plaisir que dans la douleur et cherche un maître plus qu’un amant.
Pour Roberto, la conjugaison de ces deux événements va sceller sa descente aux enfers. Au fur et à mesure qu’il approfondit son rapport avec Giacinto et qu’il perd peu à peu ses repères. Il est fasciné par le garçon, une sorte d’ange diabolique qui vit dans un autre monde que le sien. Un monde d’argent facile, de drogue, de putes de luxe.
Peu à peu, le piège se refermera sur Roberto, coincé entre les autres flics et la bande d’Episcopio…
Un roman complètement italien dans les lieux, les faits, les personnages, la culture, mais en même temps universel dans les sentiments et l’humanité qu’ils expriment. Il y a quelque chose de Robin Cook dans l’écriture et l’histoire elle-même se situe entre Bad Lieutenant et Romanzo Criminale. L’aspect documentaire est particulièrement fouillé, l’auteur est journaliste spécialisé dans les rapports entre délinquance et société, mais ce documentaire est parfaitement intégré dans la fiction et ne prend jamais le pas sur elle. C’est sans doute pour cette raison que le roman dégage une formidable « impression de réalité », aussi bien autour des faits que des personnages. Ceux-ci constituent une galerie remarquable et malgré tous leurs excès, ne tombent jamais dans la caricature.
Quant à Roberto, c’est un modèle de personnage, dur mais fragile, pathétique dans son désir d’aimer, se pensant lui aussi prêt à trahir pour se sauver mais n’en ayant plus tout à fait la force…
Celui qui ne dormait pas, d’Alessio Viola, Rivages Thriller, novembre 2014