L'association Polar en Cabanes (entre autres, voir détails ci-dessous) propose, au Cinéma Utopia une journée de projections consacrée à Yves Boisset
Pendant plus d’une décennie, l’ancien assistant réalisateur (entre autres de Melville et Riccardo Freda) devient un cinéaste en vue. Boisset dirige le gratin du cinéma français et international. Liste non exhaustive : Jean-Louis Trintignant. Jean Seberg. Gian Maria Volonté. Michel Piccoli. Philippe Noiret. Bruno Cremer. Roy Scheider. Jacques Weber. Jacques Villeret. Jean-François Balmer. Marlène Jobert. Tomas Milian. Patrick Dewaere. Aurore Clément. Michel Auclair. Marcel Bozzufi. Philippe Léotard. Jean Carmet. Jean Bouise. Lino Ventura. Victor Lanoux. Bernadette Lafont. Miou-Miou. Lee Marvin…
Boisset signe des films de genre (polar, thriller politique, guerre) qui pour la plupart, traitent frontalement de sujets polémiques. L’ATTENTAT. RAS. DUPONT LAJOIE. LE JUGE FAYARD DIT « LE SHERIF ». ALLONS Z'ENFANTS. LA FEMME FLIC. ESPION, LÈVE-TOI. CANICULE.
Un pavillon de banlieue, misérable. L’inspecteur Favenin – Michel Bouquet - tabasse l’anarchiste Rufus, pour lui faire avouer son faux témoignage dans une affaire de meurtre. Soudain, garçon de 10 an apparaît. Rufus, à bout de souffle, contemple son fils et dit…« Regarde, et n’oublie jamais. Tu vois, c’est ça un flic. » Et le policier tortionnaire, honteux, traite sa victime de « salaud » !
La scène se déroule dans UN CONDÉ, le polar mafieux adapté de Pierre Lesou (auteur, entre autres, du DOULOS) qui, en 1970, fit décoller la carrière d’Yves Boisset tout en lui attirant les foudres de la censure.
En 1985, l’échec artistique et commercial de BLEU COMME L’ENFER met un terme à cette période dorée. Boisset ne parvient plus à financer ses projets et, pour continuer à tourner, travaille désormais pour la télévision. Certains de ses téléfilms historiques (L’AFFAIRE DREYFUS, LE PANTALON, 12 BALLES DANS LA PEAU POUR PIERRE LAVAL) auront de beaux succès d’audience. Mais tourner pour la télévision est perçu comme un déclassement pour tout cinéaste qui se respecte (snobisme absurde, qui perdure encore).
Le verdict tombe : Boisset est « ringard ». Ses films sont « mauvais » car ils manquent de « subtilité », ce n’est qu’un « faiseur ». Etc. Le jugement, sans appel, prétend nous faire oublier les qualités des films aussi bien que leur impact sociétal. Vingt ans plus tôt, DUPONT LAJOIE faisait de Carmet une star, recevait un triomphe public et mettait le racisme au cœur du débat national, jusqu’à ce que son titre entre dans le vocabulaire commun…Les censeurs ont compris qu’il était inutile d’aligner les procès contre Boisset : il suffisait de lui couper les vivres, puis de constamment dénigrer son travail. Faisons oublier Boisset, et assurons-nous que personne ne prenne la relève… Ce n’est qu’en 2013, suite à la publication de son autobiographie LA VIE EST UN CHOIX, qu’une poignée de critiques iconoclastes (Jean-Baptiste Thoret, Philippe Rouyer, François Angelier) entament un processus de réhabilitation du cinéaste. Grâce leur soit rendue, car ce n’est que justice.
Les trois films diffusés dimanche 26 septembre à l’Utopia sont emblématiques de sa période dorée.
Dimanche 26 SEPTEMBRE AU CINÉMA UTOPIA
POLITIQUE BARBARE : 3 films d’Yves Boisset
Journée proposée par Fabien Nury, l’association Polar en Cabanes et les Rencontres « La Classe ouvrière, c’est pas du cinéma ».En partenariat avec la librairie Le Passeur.
Ticket groupé pour les trois films : 12 euros, en prévente au cinéma à partir du Jeudi 16 Septembre
(Possibilité d’acheter une place pour un seul film, aux tarifs habituels, en vente seulement le Dimanche 26)
Le programme de la journée :
11h : L’ATTENTAT
France 1972 2h04
avec Jean-Louis Trintignant, Gian Maria Volonte,
Michel Piccoli, Jean Seberg, Michel Bouquet, Bruno Cremer, Philippe Noiret...
Scénario de Ben Barzman, Basilio Franchina et Jorge Semprun
L’ATTENTAT, récit fictif mais ultra-documenté de l’assassinat de l’opposant Ben Barka par le Colonel Oufkir (sorte de Beria marocain à la solde d’Hassan II, qu’il trahira ensuite), décrypte la complicité des services secrets occidentaux et autres « barbouzes » bien français dans cette affaire sordide. Le lieu du crime : une villa de banlieue parisienne, propriété du gangster et ancien gestapiste Georges Boucheseiche. Le sujet est chaud, en 1972 : les tueurs et leurs complices sont vivants et actifs, quand Boisset développe son film. Le casting prodigieux est l’idée de l’agent Gérard Leibovici, visant à aligner une « telle brochette de stars qu’il serait impossible d’empêcher le tournage ». Musique ? Ennio Morricone. Mais si Boisset est nul, tous ces talents avaient-ils du caca dans les yeux ? Evidemment, non. Le film le prouve, et n’a rien à envier selon nous à la célèbre trilogie politique de Costa-Gavras et Montand (Z, ETAT DE SIEGE, L’AVEU).
15h : R.A.S.
France 1973 1h50,
avec Jacques Spiesser, Jacques Weber, Philippe Leroy, Michel Peyrelon,
Jean-Fraçois Balmer, Jacques Villeret, Claude Brosset...
Scénario d’Yves Boisset, Claude Veillot et Roland Perrot
RAS est encore plus audacieux. En 1973, c’est un des premiers films français (avec AVOIR 20 ANS DANS LES AURES, de René Vautier) à décrire en détail le trajet absurde et atroce des appelés de la guerre d’Algérie. Le film révèle Weber, Villeret, Spiesser, Balmer. Les seconds rôles, Michel Peyrelon et Claude Brosset, sont inoubliables.
Depuis l’entrée dans la caserne jusqu’à la mort au fin fond du djebel, c’est tout le trajet d’une génération qui est brossé en moins de deux heures. Un propos dérangeant, universel, qui préfigure le FULL METAL JACKET de Kubrick d’une bonne dizaine d’années… A voir et à comparer avec le génial documentaire LA GUERRE SANS NOM de Tavernier et Rotman, pour se rendre compte de la pertinence et de la justesse du film.
18h15 : LE JUGE FAYARD DIT « LE SHÉRIFF »
France 1977 1h52
avec Patrick Dewaere, Aurore Clément, Philippe Léotard,
Michel Auclair, Jean Bouise, Jean-Marc Thibault...
Scénario d’Yves Boisset et Claude Veillot
LE JUGE FAYARD, sorti en 1978, semble plus conventionnel : un bon polar du dimanche comme il s’en faisait une vingtaine par an dans les seventies… A ceci près qu’il s’agit encore d’une histoire vraie : celle du Juge Renaud, assassiné deux ans plus tôt, car il tentait d’établir des liens entre le gangstérisme lyonnais et le tristement célèbre SAC (Service d’Action Civique), police parallèle gaulliste puis pompidolienne, qui continuera de sévir jusqu’à la tuerie d’Auriol, en 1984. En clair : des braqueurs et des trafiquants, dont des anciens de l’OAS, financent une bonne partie de la droite française.
Cocasserie : le SAC obtint par voie de justice (!) que son acronyme soit censuré et remplacé par des Bips. Le public ne s’y est pas trompé, et hurlait « SAC, assassins » dans les salles, à chaque bip. Ajoutons qu’il s’agit d’un des meilleurs rôles de Dewaere, et que le film n’a rien d’une hagiographie (le juge trop pugnace emploie des méthodes discutables et provoque sa propre fin, terrible).
Voilà pour le fond. Certes, il n’est pas « subtil », mais pourquoi le serait-il ? Qu’y a-t-il de subtil à mutiler et assassiner un militant au fond d’une cave ? A entraîner des jeunes Français à la torture, la folie et la mort ? A braquer des convois de fonds pour financer des campagnes électorales ?
30 ans plus tard, le paysage politique et criminel français offre toujours pléthore d’affaires (Bygmalion, Karachi, Kadhafi, etc) que l’on ne voit JAMAIS sur les écrans… Et l’on attend toujours que le cinéma grand public français cesse un peu d’être « subtil » et « nuancé » pour aborder les sujets qui fâchent.
Quant à la forme, qui valut tant de dénigrement et de condescendance au cinéaste, elle est à l’avenant. Dégagé de l’influence de Melville (que l’on ressent un peu trop dans UN CONDE), Boisset s’assume en tant qu’admirateur d’un cinéma américain à la fois ludique et subversif, en deux mots, le cinéma de Robert Aldrich. Découpage et montage à la truelle, éclairage cru, décors naturels et tournage rapide : non, le cinéma de Boisset n’est ni « soigné » ni « élégant ». Il est efficace, brutal, parfois satirique, toujours engagé.
Pendant quinze ans, Yves Boisset nous en a mis « plein la gueule » – comme son maître Aldrich, dont THE LONGEST YARD fut distribué sous ce titre peu aimable en 1974. Cessons de le prendre de haut, redécouvrons ses films, et sachons apprécier son audace et sa maîtrise narrative.