Chroniques polar de Bernard Daguerre
Laissons-lui la parole
Bonjour,
Voici mes chroniques de septembre:
- dans Noir Kaolin du mois de septembre :
les deux romans de Roxane Bouchard parus aux éditions de l'Aube
amitiés
Bernard
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L'Actualité du Roman Noir : Ce n'est qu'un début
Le lecteur familier des aventures du commissaire Soneri, ce policier italien habitant Parme, ne sera pas étonné à la lecture de sa huitième enquête....
https://aqui.fr/article/lactualite-du-roman-noir-ce-nest-quun-debut/
Roxanne Bouchard : Nous étions le sel de la mer- Éditions de l’Aube- Août 2022-213 pages-19,9€-
Ça aurait pu être un délicieux roman d’énigme à la manière anglo-saxonne, muni de ses composants sans surprise : un corps trouvé en pleine mer enroulé dans un filet de pêche, celui d’une certaine Marie Grant, navigatrice avertie ; un enquêteur obstiné, Joaquim Morales, fraichement débarqué dans la police locale, qui peine à croire à un accident. Une communauté de marins- pêcheurs aussi soudée que taiseuse, située au Québec, plus précisément en Gaspésie, du côté de la côte escarpée de la Baie -des- Chaleurs.
Mais la belle ordonnance du récit de détective est rapidement troublée : d’abord par la quête franche et naïve de la jeune et jolie Catherine Day, venue percer le mystère de ses origines, et dont la narration à la première personne perturbe vite le champ policé des investigations policières. Certes Joaquim est un enquêteur de talent. Mais ayant enfin obtenu sa mutation après 20 ans de loyaux services dans la police de Montréal pour aménager dans ce bel et paisible endroit côtier, il pensait mettre en sourdine son métier. Patatras, il lui faut boucler au plus vite cette affaire alors qu’il est doublement perturbé : par les hésitations de sa femme qui tarde à le rejoindre, et par le charme de Catherine à qui il fait une cour maladroite et hésitante.
Surtout il se heurte au corps communal local compact comme dans une enquête de Simenon, où un Maigret local peinerait à fendre l’opacité unanime du récit des habitants du village. Car Marie Garant était de son vivant une femme adulée autant que haïe, et de l’écheveau de sa vie on pourrait tirer un nombre impressionnant de fils amoureux.
Les interlocuteurs locaux de nos deux protagonistes principaux ont aussi en commun un maniement affuté de leur langue. Le lecteur français devrait tomber sous le charme de ce parler si différent du nôtre, dans son incessante inventivité, et pourtant si proche. Comme s’il s’agissait à la fois de séduire et désarmer ces étrangers au pays. Ainsi pour qualifier leur terre : « La Gaspésie, c’est une terre de pauvres, qui a juste la mer pour richesse pis la mer se meurt. C’est un agrégat de souvenirs, un pays qui ferme sa gueule pis qui n’écœure personne, une contrée de misère que la beauté du large console. Pis on s’accroche comme des hommes de rien. Comme des pêcheurs qui ont besoin d’être consolés ». Et encore pour désigner cette mer si proche et si cruelle : « la noyade c’est fréquent. Un pêcheur, un enfant insouciant… À chaque fois il faut ouvrir une enquête… qu’est-ce qu’on trouve ? Un accident, une maladresse, une malchance. C’est ça, la vie sur le bord de l’eau. Pourtant, on n’arrive pas se passer de la mer. Voyez, moi, je suis né avec la mer dans ma cour ; j’ai joué dedans toute ma jeunesse…. Va falloir comprendre que la mer c’est tout ça : la vague qui t’amène au large et te ramène. Un roulé d’indécisions, mais tu restes là, hypnotisé et captif. Jusqu’au jour où elle te choisit ».
Ce roman a obtenu le prix des lecteurs Quai du Polar 2023.
Bernard Daguerre
Roxanne Bouchard : La mariée de corail (première parution au Québec : 2020) - Éditions de l’aube- Août 2023 -449 pages- 22 €-
Il y a de la douceur et de la violence dès les premières pages du roman, inextricablement mêlées. Ophélie moderne dans sa robe blanche de mariée, Angel Roberts paraît glisser dans la mer et vers une mort certaine.
Et nous voilà plongés dans la deuxième enquête de Joaquin Morales en Gaspésie, cette bande de terre du Québec, peuplée de valeureux marins. Ces rudes pêcheurs sont tous des hommes sauf justement la talentueuse Angel, seule femme capitaine d’un homardier appelé par elle l’Échoueuse II, par bravade dans cet univers de machos où elle a dû faire ses preuves et y a réussi. Est-ce son succès qui a déclenché des jalousies mortelles ? Difficile de le dire tant le monde de ces travailleurs de la mer est peu ouvert à la communication.
Ce ne seront donc pas des investigations faciles (elles s’avèrent même très minutieuses, voire complexes et longues) pour Joaquin, mexicain d’origine et talentueux policier venu de Montréal. Sur cette affaire, il est, comme c’est joliment dit : « enquêteur en prêt de service ». Il a à sa disposition une petite brigade : Erik Lefebvre qui d’emblée lui fait part de son horreur pour les enquêtes de terrain et Simone Lord, agente des pêches qui a « une vertèbre têtue qui pointe sous la peau », détail physique qui trouble fort Joaquin. Car il faut bien dire que les relations hommes-femmes constituent une dimension essentielle du roman ; Joaquin par exemple se relève à peine du délaissement dans lequel Sarah son épouse légitime l’a placé déjà depuis l’enquête précédente ; « quelque chose avait coincé dans le processus, l’eau de mer avait submergé l’engrenage » a- t- il noté, et ça continue dans ce nouvel épisode. Sebastien, son fils de 30 ans, en crise de couple lui aussi, vient le rejoindre et renoue des liens d’amour filial avec son père.
On observera que la valse des sentiments affecte d’avantage le milieu des enquêteurs et de leurs proches plutôt que celui des suspects. Ces derniers font face à de difficiles conditions de travail, accrues par la crise des activités de pêche. En effet le moratoire de la pêche à la morue de 1992 a complètement chamboulé ce monde de pêcheurs comme nous le rappelle le roman, donnant une dimension quasiment sociologique au récit. Si Angel a pu tirer son épingle du jeu, ce n’est pas le cas de nombre de petits-patrons pêcheurs de son entourage, entraînant des phénomènes de débrouille : coups fourrés, braconnage en mer… Bref un vrai panier de crabes. Il faudra toute la rigueur professionnelle de Morales pour venir à bout de l’affaire. Et le charme renouvelé de la langue québécoise n’est pas pour rien dans le plaisir de lire ce roman noir ancré dans la côte gaspésienne.
Bernard Daguerre