MC93, l'esprit d'Ellroy a frappé
American Tabloid D’après American Tabloid de James Ellroy Mise en scène de Nicolas Bigards MC 93 BOBIGNY Représentation du 15 décembre 2013, par P-M Pranville
Comment adapter au théâtre un roman de plus de 700 pages réunissant quarante personnages qui bougent sans arrêt d’une côte à l’autre des Etats Unis dans une succession de scènes d’action souvent violentes sur une période de cinq ans, et faire tenir tout ça dans deux heures de représentation ? Cette seule question mérite le détour par Bobigny tant le pari semble impossible à tenir.
Dans la rencontre avec le public après la représentation, Nicolas Bigards explique qu’il a dû faire des choix. Sur les personnages, il en a retenu quatre principaux: Pete Bondurant, l’ex-flic et génial malfrat ; Kemper Boyd, l’agent du FBI manipulateur sans scrupule ; son ami Ward Littell, FBI lui aussi, mais envahi par les scrupules ; et J. Edgar Hoover, facétieux patron du FBI. Apparaissent également Howard Hughes, milliardaire obsédé par les microbes, Jimmy Hoffa, patron des syndicats des camionneurs et Laura Hughes, seul personnage féminin, fiancée de Boyd. Habilement, la famille Kennedy, pourtant fil rouge du roman, n’est pas représentée par des personnages mais par des photos d’actualité sur grand écran en fond de scène.
Sur les thèmes, Nicolas Bigards a aussi fait une sélection. Son objectif est de fixer les liens étroits entre les hommes politiques et les intérêts économiques de la mafia, conformément au message de J. Ellroy qui désacralise l’image vertueuse du clan Kennedy. Il a retenu l’affaire de Cuba, de l’arrivée de Castro au pouvoir à la Baie des Cochons, comme axe révélateur de la collusion entre les politiques et la mafia. Il a peu ou pas retenu, par exemple, l’anticommunisme obsessionnel de l’administration américaine, l’extrême droite et le Ku Klux Klan, présents dans le roman. Impossible aussi d’adapter un texte de 745 pages au risque de produire une pièce de quatre heures. Son choix s’est porté sur les deux premiers tiers du roman qui permet une cohérence autour du thème principal : les jeux de pouvoir et la corruption organisée.
La difficulté de l’exercice de Nicolas Bigards réside dans l’afflux d’informations qu’il doit apporter au spectateur, d’emblée, pour installer l’histoire, particulièrement à un spectateur qui n’aurait pas lu le roman et/ou qui ne serait pas au fait de l’histoire des Etats Unis des années 1960. Il s’en tire par un incipit qui permet aux quatre personnages principaux de se présenter devant le rideau de scène avant qu’il ne dévoile le décor, et en fournissant des informations off lues par des speakerines très radiophoniques qui lient les évènements les uns aux autres. A noter que les textes, que ce soient les dialogues ou des descriptions de bagarres, sont les textes originaux du roman. Difficile d’être moins fidèle au roman. On retrouve cette fidélité dans le rythme du spectacle, rapide, haché, par petites séquences, dans la mobilité incessante des acteurs dont parfois les prises de parole se superposent.
Nicolas Bigards a aussi voulu travailler l’ambiance et restituer, au-delà du texte, les années 1950-1960. Il s’est appuyé sur un décor original fait de trois espaces de bureaux de bois cloisonnés, ceux des enquêteurs des administrations américaines, avec des téléphones partout, permettant de délocaliser les acteurs dans tout le territoire des Etats Unis. Et sur la musique et le chant : une guitare électrique et une batterie accompagnent la représentation et la belle voix du personnage de Béatrice demi mondaine adoucit le climat hostile et trépidant qui s’est installé.
Alors, pari tenu ? Oui, dans la limite des choix du metteur en scène. C’est dramatique et c’est drôle à la fois. On en a plein les yeux. C’est un spectacle original, créatif, complet qui respecte l’esprit du roman de James Ellroy.
Rappel : sur présentation de la carte d'adhérent 813, tarif préférentiel