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Publié par blog813

De  Sam, notre envoyé spécial sur place...
 Bonjour de La Rochelle où les orages ont le bon goût d’éclater la nuit, permettant au festivalier de faire la queue sans prendre en même temps de douche. 

 

 

Un festival qui s’est ouvert avec le superbe Dogman de Matteo Garrone, projeté devant une salle comble (voir photo en bas de page). On se souvient de Gomorra qui nous avait tous laissés sans voix, mais Dogman ne déçoit pas, bien au contraire. D’abord parce que Marcello Fonte, prix d’interprétation masculine à Cannes (hélas pas de photo!) occupe l’écran d’une

présence subtile et bouleversante avec son visage à la fois innocent et terrible, capable de passer d’une expression à l’autre en une fraction de seconde. Et parce que Dogman est un film noir à la palette étendue, à la fois film criminel, documentaire social, fable sur l’humanité et la bestialité. A ne pas manquer. 

 

On ne pourra pas en dire autant de Au Poste! de Quentin Dupieux, spécialiste du détournement des genres et de l’absurde déjanté. Comparé à ses précédents opus, celui-ci serait presque sage (trop en fait). Dans un commissariat à l’ambiance cinquante poussiéreuse, le commissaire Buron (Benoit Poelvoorde) interroge un dénommé Fugain (Grégoire Ludig parfait dans le rôle de l’innocent empêtré dans une improbable histoire) assisté d’un adjoint borgne, ou plus exactement dépourvu d’œil (et aussi de neurones).

Ce film n’a bien sûr de policier que son habillage, prétexte à enchaîner les gags et les répliques qui font rigoler le public. Poelvoorde fait du Poelvoorde, mais plutôt sobrement, il faut le reconnaître, et  les acteurs sont d’ailleurs excellents, ce qui permet d’aller jusqu’au bout du film sans décrocher et même d’y prendre du plaisir. L’exercice de style est assumé, les références abondent (on peut jouer à les chercher) et Dupieux, plus malin que mégalo, donne finalement peut-être la clé de son propre film dans une réplique prononcée par l’une des actrices à la fin: « C’est moitié génial, moitié poussif. » L’ultime rebondissement introduit une inquiétude qui aurait pu faire basculer Au Poste! dans un absurde façon Buffet froid et l’aurait hissé au rang d’œuvre réellement singulière. Dommage que ce ne soit pas le cas. 

Toutefois, dans le domaine des emprunts au rayon polar, la vraie déception est venue du nouveau film de Pierre Salvadori, réalisateur dont nous avions plutôt aimé jusqu’ici le travail. En liberté! annonçait la couleur par son titre et l’on pensait voir un film enlevé, audacieux et fantaisiste. Il n’en a rien été. Le point de départ était pourtant très prometteur: une lieutenant de police (Adèle Haenel) découvre par hasard que son mari, flic décoré et tombé en service, était en fait un ripou et qu’il a fait condamner un

innocent à sa place. L’innocent sort de prison et la flic le prend sous son aile afin de racheter la faute de son époux. Cependant les choses se corsent quand l’innocent (Pio Marmai), la rage au cœur, entreprend de devenir un vrai méchant. Il y avait de quoi tirer une comédie sur le fil à partir de ce retournement de situation. Mais en dépit  des dialogues qui se veulent drôles (et on rit parfois), les effets sont bien lourds, comme ce gag récurrent du psychopathe qui vient régulièrement confesser ses meurtres, preuves macabres à l’appui, et qu’aucun policier n’écoute. Le film ne suscite pas de réelle émotion ni de vision critique, politique ou sociale. Quant au projet esthétique, il manque par trop de cohérence. Ce faux polar qui se voulait une affirmation de l’imaginaire (et de sa liberté) ne convainc pas car les ruptures de ton sont trop brutales et on ne retient que l’hésitation entre le film d’action outré et délirant et la comédie sentimentale qui ne trouve jamais sa dimension poétique. Contrairement aux films noirs de Kaurismaki, programmés cette année dans le cadre de l’hommage qui lui est rendu. Nous y reviendrons. 

Mais peut-être fallait-il s’économiser  pour recevoir l’un de ces films chocs dont le festival de La Rochelle a le secret. Cette année, les films bulgares sont à l’honneur et Godless de Ralitza Petrova vaut le voyage ( au bout de

l’enfer). Dès les premiers plans à l’image floue, (un procédé que la réalisatrice utilise à plusieurs reprises) on entend un bruit d’eau qui coule et des paroles prononcées dans un râle. On n’en sait pas plus. Puis on est sur une route perdue au cœur d’une forêt de cauchemar. La maîtrise de cette séquence nous dit d’emblée que  l’on va voir un grand film. Il a de fait été récompensé par le Léopard d’or à Locarno en 2016. En voyant Godless, on ne peut s’empêcher de penser au remarquable Faute d’amour de Zviaguintsev. Les deux films traitent du même sujet: la déliquescence morale d’un pays asséché par le matérialisme, qu’il soit communiste ou capitaliste, dans la version particulière qu’en donnent les pays de l’Est.

Ralitza Petrova rend compte de cette disparition du sensible, de la capacité à aimer et de toute forme de transcendance à travers le personnage de Gana, âpre au gain jusque dans son prénom. Elle est aide-soignante à domicile pour des personnes âgées dépendantes dans une petite ville bulgare, et elle en profite pour leur dérober leurs cartes d’identité qu’elle revend à une filière qui fait du trafic de papiers. Mais des grains de sable de plus en plus gros vont se glisser dans la machine et Gana va franchir un cap dans la transgression, bientôt prisonnière d’un engrenage qui la broie. Avec ses plans souvent décadrés et sa caméra qui s’approche au plus près du visage de marbre de son héroïne, la réalisatrice bulgare éprouve le spectateur et le pousse dans ses retranchements. Pas de concessions dans ce cinéma-là, comme il n’y en a pas dans ce monde-là. « Je veux aimer, mais je ne peux pas », dit Gana à sa mère. 

La fin, dans laquelle s’opère une forme de rédemption, dont on taira l’origine pour ne pas déflorer un des moments forts, demeure cependant implacable, marquant métaphoriquement l’enfermement d’un pays dans l’impasse. Une impasse dont rendent compte un certain nombre des autres films bulgares présentés au festival. Deux documentaires passionnants Sofiàs Last Ambulance, qui nous fait partager le quotidien d’un trio d’ambulanciers, et The Good Postman, qui met en scène la question migratoire dans un petit village situé à la frontière turque, complètent le tableau de cette Bulgarie gangrenée par la corruption, l’injustice et la pauvreté, et où les espoirs suscités par la fin du communisme ne se sont pas concrétisés. Mais où, bonne nouvelle, on fait un cinéma passionnant dont on espère qu’il sera reconnu internationalement à l’égal du cinéma roumain. 

A suivre...

 

Sam vous salue depuis l’écran noir de ses nuits blanches. 

Images du festival, prises sur le vif par Jeanne (Sam)Images du festival, prises sur le vif par Jeanne (Sam)

Images du festival, prises sur le vif par Jeanne (Sam)

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