Trophée 2018 -4- Le trophée du roman français
Rien que du bon, comme on dit. Franz Bartelt, comme les précédents auteurs primés évoque son trophée sur notre blog.
La réaction de Franz Bartelt :
813 fois merci de m’avoir informé de cette récompense pour L’hôtel du Grand Cerf, un établissement qui sert une cuisine tout ce qu’il y a de familial.
Je vis à l’écart et très loin de tout, y compris des bonnes choses, la meilleure étant, en l’occurrence, de me découvrir d’un coup plus d’amis que je croyais en avoir.
Donc merci d’avoir eu l’amitié de distinguer ce roman qui est d’abord une sorte d’autobiographie amusée de ma (longue) vie d’amateur de polars et de films noirs.
En fait, j’ai utilisé les souvenirs qui me revenaient au fur et à mesure de l’écriture, un peu en vrac, sans intentions particulières, juste pour le plaisir d’un détour par des bonheurs d’époque que je ne suis pas seul à devoir à Boileau-Narcejac, S-A Steeman, Leblanc, Leroux, Pierre Véry, Agatha Christie, Simenon, Pierre Souvestre, Émile Gaboriau, Eugène Chavette et trois douzaines d’autres, parmi lesquels l’André Dhôtel du Pays ou l’on n’arrive jamais et le Frédéric Dard d’avant les San Antonio — mais aussi les San Antonio d’après Frédéric Dard (À ce propos, beaucoup de lecteurs ont cru reconnaître Bérurier dans Vertigo. Ce n’est pas totalement faux. Mais j’ai plutôt songé à L’Ignatius de La conjuration des imbéciles, de J-K Toole.)
Amicalement
Franz Bartelt.
Trophée 813 du roman francophone : Hôtel du grand cerf, Franz Bartelt, « Cadre noir », Seuil.
Reugny, un village des Ardennes, côté belge. Là, « en près d’un demi siècle, rien
n’avait changé […] Et les habitants n’avaient guère plus évolués que leurs pierres, leurs vilains pavés et leurs toits d'ardoise ». Sur la place, il y a l'hôtel du Grand Cerf qui, comme au début du Pays où l'on n'arrive jamais d'André Dhôtel (cher à l'auteur), « a finalement donné le ton à toute l'agglomération » et sera au centre de ce roman.
Les gens y passent, habitués ou de passage, les confidences s'y font, les secrets s'y dissimulent.
Cinquante ans auparavant, une star du cinéma oubliée depuis, Rosa Gullingen, y a été retrouvée morte dans sa baignoire - affaire classée, mais était-ce bien un suicide ? Nicolas Tèque, journaliste aux abois, accepte pour le compte d'un ami producteur fan de l'actrice de venir enquêter sur cette fin suspecte.
Mais ces temps-ci, à Reugny, le calme ne règne pas. Le douanier Jeff Rousselet, entomologiste de la moindre vilenie des habitants, qu'il hait en bloc (ils le lui rendent bien), est décapité, sa maison brûlée. Simultanément, la jeune Anne-Sophie Londroit, petite-fille de la propriétaire de l'hôtel, la vigilante paralytique Léontine, disparaît lors d'une promenade. Et la série des faits divers continue...
Que fait la police ? Elle survient en la personne de l'inspecteur Vertigo Kulbertus, « beaucoup plus réputé pour son poids que pour son aptitude à résoudre les affaires criminelles », qui, à quelques jours de la retraite, n'en demandait pas tant. Mais, alors que des attentats frappent le pays et que des braqueurs profitent du chaos ambiant, il est le dernier flic disponible ! Un personnage, que ce policier, un de ceux que l'on n'oublie pas. Pour conjurer une existence contrariée par le mauvais sort, une gloire d'enquêteur sans cesse empêchée par les contraintes administratives, Kulbertus mange, encore et toujours.
Il faut pourtant se méfier de l'ogre qui dévore. S'il est grotesque et gargantuesque, Vertigo se montre aussi un parfait disciple de ces limiers de génie, tel le M. Wens des polars de Stanislas-André Steeman, un auteur important des années 1930, belge d'ailleurs. Il plonge dans le marigot de Reugny, fait resurgir certaines turpitudes du temps de l'Occupation, explore les zones d'ombre d'un Centre de motivation aux méthodes radicales... L'homme a de la méthode : comme l'Augustin d'un précédent roman (Le Costume, 1998) le faisait avec les objets et les rues, il classe les témoins et les suspects par ordre alphabétique, il interroge, il confronte, il déstabilise ces habitants dont chacun connaît une partie de la vérité ; puis il assemble les pièces du puzzle, pour un dénouement d'une amoralité très réjouissante.
Réjouissant, Hôtel du Grand Cerf l'est d'un bout à l'autre. Roman policier extrêmement tenu, qu'Hitchcock aurait sans nul doute apprécié, il mêle à un suspense impeccable un humour, un ton décalé, un sens de la formule, une élégance de la phrase qui nous donnent un énorme plaisir. Succession de scènes cocasses (ah, le blocage des grévistes de Bating Larcheville et leur leader Arnaldof Jipé !), galerie de personnages qui tous, même secondaires, possèdent leur épaisseur et tiennent l'histoire, c'est un vrai régal que ce roman noir. Car, comme le dit Franz Bartelt, grand lecteur de Simenon et de Marcel Aymé : « Pour peindre les mœurs, c'est la bonne couleur. »
Hervé Delouche ( article paru dans la revue 128).