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Publié par blog813

Initialement cette chronique était prévue pour la revue mais
  1. Elle est beaucoup trop longue
  2. Georges Tyras (grand traducteur de l'espagnol) avait déjà envoyé une chronique sur le sujet
Le Facteur 813

Manuel Vázquez Montalban, mort en 2003, nous a enchantés pendant des années avec Pepe Carvalho,son personnage de privé.

La dernière aventure du célèbre barcelonais est sortie en 2004 sous le titre Milenio Carvalho. Camilleri lui a rendu un discret hommage avec Montalbano.

En mars 2020 est sorti un Pepe Carvalho, signé Carlos Zanón. Une gageure de faire revivre ce personnage haut en couleur, qui nous a sortis des stéréotypes liés aux privés, avec ses errances, ses amours tumultueuses, et Biscúter, Bromure, Charo qui ont marqué nos mémoires ?

 

Eh bien, on retrouve avec plaisir Pepe, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre… Ne serait-ce que parce qu’ici le récit est à la première personne.

Quinze ans ont passé et Carvalho s’est libéré de celui qui sera appelé tout du long « L’Écrivain ». Il a pris son autonomie. Même s’il cite très souvent son créateur, celui-ci est convoqué plutôt qu’acteur. Un peu comme si Sherlock s’était libéré de son hagiographe Watson (même si ça a été certainement fait).

L’intrigue est double : une femme charge Carvalho de retrouver sa fille, prostituée qui avait l’habitude de dormir sur la Montagne de Montjuïc, elle est sans nouvelle. Or justement on a mis à jour, sur les pentes qui mènent au château qui domine la ville, des cadavres de prostituées que très vite le détective subodore assassinées par un certain Le Gueno mais sans arriver à le prouver. La Niñata doit faire partie du lot, mais on ne l’a pas encore retrouvée. Aussi, une vieille amie, Marina voudrait que Pepe résolve un crime familial : la grand-mère et la jeune sœur d’Amèlia -une intime de Marina- à peine seize ans, sont mortes, tabassées à mort dans leur appartement. La serrure n’a pas été forcée et le chien n’a pas aboyé. Un crime odieux. Voilà pour le côté enquêtes. Nous n'en dirons pas plus.

Mais bien sûr, l’intérêt est ailleurs.

Dans les personnages secondaires, d’abord. Toute une galerie. Si Charo et Bromure ne sont que cités, d’autres apparaissent. Tout un petit monde. l’avocat Subirats, des patrons de bars à tapas, des prostituées, des gens de la rue… On retrouve l’immarcescible Biscúter mais il s’est mis en tête de participer à Master chef ce qui met Carvalho en rogne. Bien sûr il sera moins disponible, même, il va disparaître pendant une bonne partie du roman progressant vers la finale du jeu culinaire, obligé de rester dans les locaux télévisuels. Pepe prend ça comme une forme de prostitution aux médias.

Puis des femmes. Beaucoup. Hormis Marina, Amèlia (inséparable de Max, son fiancé), Laura, la journaliste, Estefania Briongos -sa secrétaire- et même Juliette Binoche qu’il a rencontrée à Madrid -entrevue qu’il n’arrivera jamais à raconter intégralement… Il faut enfin évoquer sa Bien-Aimée Zombie, la Madrilène, en ménage avec un ministre qui vient retrouver Pepe à Barcelone ou qu’il va, lui, retrouver à Madrid. Est-elle vraiment disponible ? accessible ? Qu’attendent-ils l’un de l’autre ? Carvalho peut-il encore aimer vraiment ?

Ensuite Barcelone, bien sûr, écrasée de la chaleur de juin, omniprésente, ses Ramblas, ses touristes. Barcelone à un tournant alors que l’on va voter pour l’indépendance (?). Notons quelques clins d’œil aux libraires de Negra y Criminal, incontournables lors de la BC Negra de Barcelone. Biscúter semble avoir été perverti : « sa radicalisation politique post-mouvement des Indignés l’a conduit, ou ramené peut-être au militantisme version anarchiste et sous l’influence de Montse Clavé, la libraire de Negra y Criminal, à Nicolas Capo. » Un peu plus tard, le privé a réussi à neutraliser le Gueno et cherche un endroit où le cuisiner : «  j'entre dans le seul commerce ouvert dans la rue. Je crois que je suis entré dans quelque chose de semblable à une synagogue, étant donné qu'il y a des gens assis en cercle dans une serai-obscurité, mais je vois qu'il y a des livres et je reconnais le libraire, Paco Camarasa, à qui je serais enchanté de faire un clin d'oeil, mais je n'ai pas d'oeil disponible, et pas sa complicité non plus. » Camarasa lui apprendra que sa librairie est fermée depuis deux ans. Dans ses remerciements, Zanón rend hommage à Paco, indubitablement son ami.

Jordi Canal de la Bobila et Paco Camarasa -Negra Y Criminal (TPS 2009)

Enfin dans le personnage du privé. Bien sûr il fait toujours brûler des livres même entre autres : « Outre Vie des empereurs de Byzance, j’ai brûlé un livre de Paul Theroux, Mon histoire secrète et je viens de jeter au feu un roman de l’Écrivain que je n’ai jamais pu encadrer, celui sur le Comité Central. Tout cela est un peu arbitraire mais je suis en mesure d’assumer. » On vient de lui découvrir quelque chose du côté du foie mais il refuse de lire le résultat des tests. Il a du mal à garder la nourriture. Il fait le coup de poing, l’amour avec plusieurs femme (sa Zombie, bien sûr mais Amélia aussi…). Il a du vague à l’âme.  Sans Charo et si peu Biscúter avec qui il a tant échangé, il erre, le plus souvent seul, entre Madrid et Barcelone, à la recherche de lui-même. Il retrouve un peu de punch dans son enquête mais on sent que ça n’est plus pareil.  Quelque chose s’est cassé, comme semble le rappeler le titre : « Tout fout le camp ».

Laissons le dernier mot à L’Écrivain : « ...Je bois mon café. J'aimerais le savourer. J'aimerais récupérer toutes ces sensations d'harmonie dans la simple routine que j'ai ressenties ces dernières années, jusqu'à ce que je la rencontre. Bien que, comme me le disait L'Écrivain : Pepe, la réalité, toute la réalité est un mensonge. Nous inventons les souvenirs, nous faussons le réel, les personnages, qui nous étions et ce que nous pensions et ainsi il n'y a pas moyen de faire autre chose que des films d'art et d'essai. Nous essayons de nous transformer en personnages et de convertir la vie en une intrigue et, je le crains, ça ne se passe pas comme ça.

Avant elle. Avant elle, rien.

Je ne parviens même pas à me rappeler qui elle était parce qu'on n'est plus le même lorsqu'on sort de certains endroits. L'Écrivain aurait réécrit la fin, notre final Zombie.

Moi, il m'aurait fait moins fragile, plus sûr, plus capable d'assimiler l'écho de la solitude, et avec toi il aurait été moins implacable que je ne l'ai été. »

Un roman différent bien sûr, fort. La nostalgie des retrouvailles.

Carlos Zanón, Pepe Carvalho Tout fout le camp, Cadre Noir, Seuil, traduction de Georges Tyras, mars 2020, 514 p.

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