Des instantanés de vies féminines exposés avec le brio d’une artiste du court-lettrage...
« Les yeux fermés, elle l’approche de sa bouche, pose ce petit morceau de fraise, à peine, sur ses lèvres. Le pose seulement. Elle lèche doucement la chair grenue de la fraise, les doigts frais qui la tiennent. Doucement. Tout doucement... la fraise... les doigts...Un vœu. Un vœu à garder secret pour conserver une chance qu’il se réalise. Sa langue caresse encore tendrement la chair tranchée à vif par la lame posée devant elle. »
Ces micro nouvelles flashent des instantanés de vies féminines, exclusivement. Des femmes : jeunes ou vieilles, malades, aigries ou optimistes, alcooliques ou artistes, pleines d'illusions ou de chagrins, mère attendrie, amoureuse comblée, surprises dans un moment d'abandon ou de crainte. Ce « pointillisme littéraire » obéit à des règles strictes : chaque texte compte environ mille caractères, ne comporte ni nom, ni dialogue. Une narration clinique, attachée aux détails, ceux qui comptent.
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Un contremaitre aux mains baladeuses, une grève dure, un concert sur fond de palettes qui brulent et des CRS qui donnent l’assaut. Ambiance très noire garantie....
Martine est debout devant son vestiaire. Le claquement de la porte métallique résonne dans le local quasiment vide. Celles qui viennent encore travailler se parlent à voix basse. Malgré cela les chuchotements font écho.
Martine passe ses mains sur ses hanches. La blouse commence à tirer. Ça plisse autour des boutons. Bientôt ça se verra. Quand elle a dépassé le piquet de grève, les filles l’ont interpellée comme tous les matins. Elles ont crié. Mais Suzanne, la plus âgée de toutes, celle qui a été licenciée en premier, n’a rien dit. Elle l’a juste examinée, s’attardant à la taille, puis a serré les lèvres en hochant légèrement la tête. A l’heure qu’il est, tout le monde doit savoir.
Il y a une grande AG cette après-midi. Les filles l’ont tannée pour qu’elle y aille. La réunion se fera sous le hall de déchargement. Plus de camion depuis le début de la semaine. Les gars les arrêtent au carrefour, à l’entrée de la zone industrielle. Mais il parait que les flics en ont arrêté plusieurs hier.
Harcèlement sexuel, révolte ouvrière, une peinture sans concession d’une grande grève de 1983 soutenue par les Bérurier Noir, une nouvelle soutenue par l’écriture sèche et précise de Jeanne Desaubry.
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Au cours de ses voyages, Claudine Aubrun croque les passagers, Jeanne Desaubry révèle leurs réflexions intérieures fantasmées : un amalgame pertinent qui fait voyager aussi le lecteur… (avant-propos Dominique Sylvain)
Fantasmes – Je n’ai pas ma chance. Cent ans de trop. Sa bouche. Est-ce qu’il sait l’effet que ça me fait ? Non, et il s’en moque probablement. Sur le quai, il y aura une gamine de vingt ans qui l’attendra, les nichons stratosphériques et un ventre plat comme une piste de bowling. Et des fossettes au creux des reins. Bon sang ! il faut que j’arrête de penser à ce qu’ils feront en rentrant dans leur chambrette ou je vais lui mettre la main. Enfin, on peut toujours regarder son voisin en douce, les yeux mi-clos, et rêver, non ?
Claudine Aubrun a publié des dizaines de livres, essentiellement pour la jeunesse. Au gré de ses nombreux déplacements en métro, en train, en avion, elle croque les voyageurs. Les croquis publiés dans ce recueil datent, pour certains, de plus de dix ans. Moments fugaces, inconnus croisés, observés, le regard de Claudine Aubrun est parfois amusé, sensible, toujours bienveillant. Aujourd’hui, elle écrit et illustre ses textes.
Elle a hésité à publier cet album, né de son amitié avec Jeanne Desaubry, éditrice mais aussi elle-même auteure de romans policiers pour jeunes et pour adultes. Depuis longtemps Jeanne Desaubry s’amusait du regard curieux de Claudine Aubrun, et de son intérêt pour autrui. Comme elle, comme vous sans doute, elle s’interroge sur ses contemporains, notamment quand le moment suspendu du voyage lui en laisse l’occasion.
Elles ont voulu partager ces moments éphémères avec vous, quand le coup de crayon irrigue les mots rapides et que se croisent l’imagination de l’une et l’observation de l’autre.
Voyageurs, Claudine Aubrun illustrations, Jeanne Desaubry textes, préface Dominique Sylvain
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