Trois romans de la rentrée
Tous les ans, en juillet août, je contacte les maisons d'édition et leur demande, si elles le peuvent, de m'envoyer en service de presse un des romans qu'ils aimeraient soutenir pour la rentrée de septembre, si propice aux nouveautés après la trêve des vacances.
Trois maisons d'éditions ont répondu à mon appel. La première, Liana Lévi qui m'a envoyé sans que je demande quoi que ce soit le prochain roman de Iain Levison. Ensuite vint la Manufacture de livres, là, j'avais simplement coché un titre sur la liste des ouvrages qu'ils proposaient. Enfin In8 à qui j'avais demandé un de leurs romans de la rentrée. Je vous les présente non dans cet ordre-là mais dans leur ordre de parution.
Le premier roman à paraître est celui de Laurence Biberfeld qui sort en librairie le 16 août, dans deux jours ! Josée, contact presse chez In8 a personnalisé son envoi d'un petit mot très gentil.
Hé bien, voici ce que j'en pense :
D’abord des femmes tsiganes. Gafna femme âgée prend soin de son petit-fils et le transporte dans une hotte de vendangeuse sur son dos. Et sa fille Edoyo, d’abord dans la cabane de Gafna puis en prison, accusée d’avoir envoyé son mari Loun, laissé pour mort, à l’hôpital où il est entre la vie et la mort. C’est une jeune femme hyperviolente qui n’hésite pas à donner des coups. Paula, une jeune femme, maîtresse du mari d’Edoyo, mère d’une petite fille. Enfin Lemlem, une immigrante en mal de carte de séjour.
Ensuite des hommes certains plutôt gentils : Loun le tout jeune époux d’Edoyo. Il a reçu une terrible râclée, soi-disant administrée par sa femme volcan suite à une dispute. Il est à l’hôpital, le visage en bouillie. Le fils de leur union s’appelle Greg, petit bout d’homme, peu loquace, sérieux et certainement intelligent. Gratien Couraud, avocat commis d’office. Il va défendre Edoyo «Votre mère est amie d’une amie à moi » et aider Lemlem dans ses demarches administratives. Sympathique mais il peut peu, il ne peut enrayer la violence qu’Edoyo porte en elle la conduira à tabasser une matonne qu’elle accuse d’avoir tué une de ses codétenues, alors qu’elle allait être libérée. Elle replongera.
D’autres hommes sont méchants, notamment certains policiers de la BAC, qui aiment donner des coups, la nuit, tout habillés de noir et cagoulés. Ils « ont coutume de patrouiller, s’efforçant de faire des têtes », « ces hommes sont fous, déments, il le sait. Le Nobletat particulièrement est connu pour les dérapages contrôlés qu’il s’autorise. Il ne se les autorise généralement qu’avec des hommes qui ont peu de chances de se faire rendre justice. » Le capitaine Le Rachou, « n’est pas aimé des autres flics mais c’est un gradé. » Et tous ces hommes qui se réunissent au bistrot.
L’auteure fait aussi intervenir des morts, étage généalogique au-dessus, qui commentent depuis les limbes.
La trame est posée rythmée par les éruptions de violence d’Edoyo, par la ténacité de la vieille Gafna qui tous les jours, sa hotte en paille tressée sur le dos, le petit Greg dedans, passe des vendanges tardives du Jurançon à l’hôpital, pour aller voir Loun. Malgré les difficultés administratives, elle essaie d’amener son petit-fils à sa mère en prison. Elle trouve un avocat pour défendre sa fille. C’est elle qui ouvre sa cabane à Paula et Lemlem, un refuge pour celles qui sont en difficulté. Aussi les relations entre Edoyo, Loun et Paula, triangle bizarre. Loun, finalement est un gentil qui va essayer de se reconstruire en même temps que son visage défiguré. Et puis des accidents de parcours, une maison incendiée, la tempête de 1999, les ratonnades, bref tout un univers, dans la montagne.
C’est un beau roman qui nous englue peu à peu au ras de cette humanité composée de gens simples. On suit une famille sur quatre générations (des aïeux décédés, jusqu’au bébé), ses conflits et ses amours, sa dignité et sa violence. Gafna est un personnage magnifique que l’on n’oubliera pas. On retrouve les thèmes chers à l’auteure : la violence conjugale (aussi bien celle des femmes), l’intégration des immigrés et réfugiés, le racisme ordinaire et ses violences, l’administration sourde et aveugle, la prison pour femme. Et la nature, la montagne, omniprésente, parfois ravagée — la vigne perdurera-t-elle, atteinte d’une maladie causée par la pollution ?— mais aussi une tempête sans précédent. La tempête du siècle.
Enfin l’écriture de Laurence Biberfeld qui tend au lyrisme. Par exemple une baignade dans un champ d’avoine à l’aube ou la description de bébés en action : « Elle se rappelle l’asticot qu’était Edoyo petite, toujours cabriolant dès qu’elle eut découvert l’usage de ses jambes. Celui-là pareillement, on dirait qu’il se remodèle le visage au tendre de ses petits pieds agiles, car son minois s’anime, si bien qu’elle a du mal à le reconnaître. Le voilà, les sourcils comiquement froncés, la bouche serrée, les yeux attentifs. Non aux autres, il ne faut pas rêver, mais à la topographie qu’il sillonne. Greg découvre qu’il a le pouvoir d’écrire quelque chose de sa curiosité sur des surfaces planes ; Il peut se déplacer seul ! »
Merci Josée de m’avoir fait découvrir ce beau roman.
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Seconde parution, le 29 août, Iain Levison, Les Stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques (Titre original, The Whistblower -le lanceur d’alerte) Liana Lévi, traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson.
Justin Sykes, avocat qui a fait de longues et brillantes études de droit, se retrouve, pour des raisons qu’on ignore à ce point de l'histoire, contraint de passer sa vie à négocier des remises de peine auprès du procureur adjoint Dick Farrel jr. (le senior est son père, procureur à part entière). C’est un incompétent, homme sans talent, qui occupe ce poste sans avoir fait de vraies études.
L’histoire démarre vraiment avec la proposition de Marcus, dealer notoire et tenancier d’une boîte de striptease. Il veut que Justin travaille une heure par semaine dans sa boîte en tant qu’assistant juridique puis passe la nuit dans un motel à proximité, confortable mais peu fréquenté. Son travail : aider les effeuilleuses dans des démarches judiciaires. Le lendemain matin, une voiture noire le suit ; puis il trouve une enveloppe contenant mille dollars en liquide. Il va répéter la même action neuf fois avant de décider d’arrêter, lassé par ce scénario, cette petite heure où il rencontre une stripteaseuse qui a plus ou moins besoin de lui, la formule toujours la même que lui sert à chaque fois le patron du motel... Deux autres participants vivent la même expérience : une heure dans le club, une nuit au motel et une enveloppe contenant 1000 $ en liquide. Un plombier payé pour donner des conseils de bricolage ; une voisine de chambre à qui il n’adresse jamais la parole, même genre de travail, mais quoi... Il noue contact avec le plombier, disposé à la communication, ce qui n’est pas le cas de la femme. Il s’entend bien avec les stripteaseuses qui semblent n’avoir pas grand-chose à lui demander.
Il lui faudra un peu de temps pour comprendre pourquoi on l’a ainsi embauché à ce tarif et pourquoi, le premier matin, il avait du mal à reconnaître l’intérieur de sa voiture. Mais chut !
Parallèlement à cette histoire, il en est une autre. Justin défend, contre Farrel Jr la cause d’un jeune homme dont le crime est d’avoir volé une bouteille de (bon) whisky. Le procureur-adjoint, contrairement à ses habitudes, réclame une peine de six ans d’emprisonnement, au motif qu’il aurait agressé deux policiers venus l’interpeller. Bizarre et si inhabituel… briguerait-il le poste de procureur ? Ce garçon est inoffensif et les deux policiers n’ont pas gardé de séquelles de cette interpellation ni en fait grand souvenir. Justin ira jusqu'au procès. On comprendra plus tard pourquoi il n’a pas eu la brillante carrière à laquelle il aurait pu prétendre. Tout ça parce que…
Je retrouve toujours avec plaisir les personnages et la verve de Iain Levison qui se penche dans cet opus-ci sur la justice américaine où shérifs, procureurs et juges sont élus. Bien sûr, toute cette mascarade a un but, non avoué et c’est quasi un roman social que Levison nous livre, avec une bonne dose d’humour. Le protagoniste côtoie différents milieux : stripteaseuses plus ou moins sympathiques, petits malfrats sans envergure pour qui il négocie des peines allégées et tout un cortège de personnages corrompus, fainéants, malhonnêtes, hommes de pouvoir, gros bras sans cervelle, trafiquants jouant au golf avec des puissants.
Un véritable régal de lecture. Je comprends pourquoi l'éditeur m'a envoyé ce roman sans que je demande quoi que ce soit.
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Celui-ci paraîtra le 5 septembre Le Bruit de nos pas perdus, Benoît Séverac, La manufacture de livres.
Une équipe du Service Régional de Police Judiciaire de Versailles, la Crim’ est menée par le commandant Jean-Pierre Sérisol. Sa femme déficiente visuelle est partie pour une compétition handisport au Japon. Djour, la chienne d'aveugle qui soutient sa maîtresse.
Krzyzaniak, une jeune recrue au nom imprononçable pour Sérisol, qui lui donne toujours du « Kryzaniak » et, à force, l’appellera lieutenant K. Elle parait très efficace. Elle intègre très vite l’équipe.
José Nicodemo, le vieux sage, près de la retraite, d’origine portugaise. Il gère à merveille les dossiers et sa famille nombreuse. Il n’hésite pas à suppléer le commandant dans la rédaction de rapport quand celui-ci est débordé par les circonstances
Grospierres, bon praticien de taekwondo, c'est utile dans un polar. Après avoir épousé une juive et avoir fait avec sa femme un séjour d’un an en Israël, il est revenu au SRPJ de Versailles.
Voilà l’équipe. Ajoutez à cela, Gayral, la procureure compréhensive.
Django, Serguei (dit Pastaga) et Kevin, un trio de clodos. Je n'en dirai pas plus sur ces trois-là, maillon essentiel du récit.
Amos, migrant dont on suivra le parcours depuis le cœur de l’Afrique vers la France. Il perdra son fils et sa femme lors de la traversée de la Méditerranée et réussira à passer en France via l’Italie et les Alpes.
La victime, Émilie Vardey, se serait suicidée, possiblement atteinte de la maladie de Huttington, maladie génétique rare qui avait emporté sa mère quand elle avait huit ans. L’autopsie révèle qu’elle était enceinte. Le père de l’enfant, Julien Foussart un naturopathe, homme marié.
Enfin, un cadavre d’homme enrubanné dans un film plastique que l’on retrouve dans un caveau dans lequel il n’a aucune raison de se trouver.
À ces deux affaires vient s’ajouter un problème personnel de Sérisol. Sylvia, sa femme, le laisse sans nouvelle du Japon, pendant plusieurs jours, ce qui est tout à fait inhabituel et le bouleverse.
Benoit Séverac nous surprend avec ce roman qui s’attache à un groupe de policiers de la Crim’ de la SRPJ de Versailles. Serait-il en passe des créer une série ? Ceux qui ont lu Tuer le fils (◄lien vers la chronique de Busnel) auront retrouvé trois des personnages. Seul ajout (et de taille) la fille aux trois syllabes imprononçables krz...(quelque chose comme keudj). Dans la description du quotidien, ce roman fait un peu penser au L.627 de Tavernier, sauf qu'ici les locaux sont plus spacieux.
Chacun a son caractère, à commencer par le capitaine qui gère d’abord puis (se) laisse un peu couler quand il se retrouve face à son propre problème. La nouvelle, prête à se faire une place dans ce quartet à dominance masculine fait preuve de réactivité et de compétence. Le champion de taekwondo s’est fourvoyé en Israël et doit se refaire une place. Et le vieux sage, à deux doigts de la retraite, capable de remplacer le capitaine quand celui-ci déraille. Sans compter Amos, le migrant, l'immigré traité comme un esclave et ses copains clodos. Personnages profondément humains avec leurs failles et leurs fulgurances. Et le monde autour et ses turpitudes : jalousie, irrespect des autres et magouilles bien sûr des nantis, esclavage contemporain. Et ses joies aussi. Et les menus plaisirs, une bonne bouteille de vin par exemple... Toute une humanité.
On en redemanderait.
Boris le Facteur 813