Thriller made in Bollywood
Gangs of Wasseypur 2012 d’ Anurag Kashyap (Inde 2012, 5H20, présenté en 2 parties de 2h40) avec Manoj Bajpayee, Richa Chadda, Nawazuddin Siddiqui.
Ce film a fait une petite incursion et c’est bien dommage sur les écrans français. Il a été notamment présenté au festival du film d’histoire de Pessac en novembre dernier, d’où cet article.
C’est une saga criminelle venue de l’Inde, plus précisément de sa partie nord-ouest : elle oppose des familles mafieuses, toutes de religion musulmane, dans sa branche des Quraychites. L’action du film se déroule sur plus de 60 ans, de 1941 au début des années 2000. Au commencement, il s’agit d’une bande de pilleurs de trains qui imite le modus operandi du parrain local, s’attirant les foudres de ce dernier. Le chef des plagiaires, Shahid Khan, obligé de se réfugier dans la ville voisine, Wasseypur, travaille dans les mines de charbon exploitées, dans tous les sens du terme, par Ramadhir Singh un redoutable maffieux. Shahid devient le bras droit de Ramadhir avant que ce dernier ne l’élimine, craignant une concurrence en germe. Mais ses sicaires, fatale erreur, épargnent Sardar le fils, malgré les ordres stricts. La suite du film voit la lutte à mort entre les deux clans : Sardar Khan devenu grand ne rêve que d’une chose, venger son père ; son ascension criminelle, il ne la doit qu’à son entregent, « self made- man » opposé à Ramadhir, qui a déjà une solide assise industrielle et politique : son fils, un notoire incapable sans cesse ridiculisé par son papa, est ministre de la culture de l’État.
La fin de la première partie voit la mort en gloire, à la manière de celle de Bonnie et de Clyde, de Sardar , dont le corps est labouré sans fin et au ralenti par les balles des sbires de Ramadhir venus le liquider dans une station essence de banlieue. Et la seconde partie du film mettra 2h40 à opposer la nombreuse descendance de Sardar, en partie manipulée par le redoutable Ramadhir, à se déchirer puis à éliminer, enfin, ce dernier, exécuté dans les chiottes de l’hôpital où il s’était réfugié avec ses derniers fidèles ; et s’ensuit sa vengeance posthume…
Un étourdissant film criminel
Jamais la tension dramatique du récit ne se relâche ; bien plus le rythme de l’action s’accélère dans la seconde partie. Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir introduit des séquences proches de la vision traditionnelle que nous avons du cinéma indien : par exemple des parties chantées et dansées, lors de funérailles ou de mariages, où un chanteur à la voix de castrat loue de manière déchirante la vertu d’un défunt ou bien appelle le bonheur sur les futurs époux ; ou encore une scène de danse en prison, lascive et sexuellement fort troublante, menée par un homme déguisé en femme et un autre de petite taille, pendant que Sadar prépare sa sortie à l’explosif. C’est dire si le réalisateur est expert dans l’art du détournement du sens : à l’œuvre déjà dans la première scène, lorsque un travelling arrière nous fait d’abord découvrir une jeune femme susurrant une chanson d’amour ; puis la caméra nous apprend qu’il s’agit d’un feuilleton sirupeux regardé avidement à la télé par deux tueurs attendant l’ordre de partir en opération.
Mais bien sûr le pur travail de cinéma d’action, caméra revolver au poing, se taille la part du lion : filmage impressionnant de longs travelling dans les rues et les ruelles populeuses où les bandits cavalent et s’entretuent à pied ou à moto, sous l’œil souvent indifférent de la foule ; scènes macabrement somptueuses comme celle de l’exécution par Faizal, fils de Sadar, de son ami qui a contribué à la mort de son père : dans la nuit, tous les deux sont sur un petit promontoire d’où ils dominent un endroit plus éclairé, ils échangent un joint et soudain Faizal porte des coups de couteaux violents, incessants, à chaque fois le sang rouge jaillit dans la nuit noire, jusqu’à ce que la tête soit détachée et accrochée dans un sac plastique au-dessus de la porte d’entrée des parents du supplicié.
Percutante encore la scène d’assaut de la maison des Khan par leurs adversaires, vue du point de vue des assaillants dans la première partie et par les défenseurs dans la seconde : Faizal court alors dans sa propre maison pour échapper à la bande lancée à sa recherche. Il file de pièce en pièce, d’étage en étage de terrasse en terrasse, filmé dans un plan unique, avec des passages totalement dans le noir – une véritable page noire comme dans un livre- où il n’y a que la bande –son.
Au-delà des inventions formelles, qui font de l’oeuvre un véritable régal, demeure la réussite d’un récit de l’affrontement de deux clans, un film fleuve et une odyssée criminelle. On pourrait encore disserter sur l’humour du réalisateur- comment il traite les femmes dominantes face à des assassins gauches en amour-, ou encore la dimension économique et politique de la lutte des familles…
Cette fresque en rappelle deux autres : celle de Johnny To (Election et Election II) sur la pègre de HongKong lors du retour à la Chine du territoire et celle de Martin Scorcese (Les Gangs de New York) sur celle des EU au moment de la guerre de Sécession. C’est dire si l’Indien est en bonne compagnie.
Bernard Daguerre (décembre 2013)