Chandler retraduit... mais pas totalement
![Chandler retraduit... mais pas totalement](https://image.over-blog.com/lC_7QJljA3GXMD7RPRY0F-hxxmw=/fit-in/600x600/filters:no_upscale()/image%2F0550618%2Fob_55b1cd_raymond-chandler-quarto-big.jpg)
En écho à l'éditorial d'Hervé Delouche dans le n° 117 de la revue et à une discussion sur la liste 813*, un article de bibliobs qui résume assez bien les divers points de vue échangés.
Pour résumer fallait-il retraduire les deux romans "adaptés" par Michèle et Boris Vian ou les conserver car ils sont des œuvres d'art à part... intouchables ?
En tous cas, saluons la volonté éditoriale de ces dernières années de donner à lire les grands classiques du genre dans le respect du texte original.
Extraits des échanges entre membres sur ce sujet :
Pour le choix de l'éditeur de conserver la traduction de Vian
Le contradicteur n'ayant pas souhaité être nommément cité, résumons l'essentiel de sa position:
« Personnellement, à la traduction réalisée par un honnête artisan, je préférerai toujours la traduction écrite par un grand artiste (Baudelaire, Gide, Artaud, Vian !)
Concernant Vian traducteur. Oui, Vian a appris à traduire en commençant par Agatha
Christie et son ABC.... La première traduction de Vian est Le Grand horloger de Kenneth Fearing ! C'est la fausse traduction de J'irai cracher sur vos tombes qui a incité Hélène Bokanowski à demander à Vian de traduire Fearing. C'est toujours la traduction officielle du Fearing.
Ensuite, le palmarès de traducteur de Vian montre bien que Vian était un vrai traducteur (Fearing, Cain, Cheyney, Chandler, Strindberg, Nelson Algren, Van Vogt etc.). Durant sa fulgurante carrière, Boris Vian a traduit 10 romans, 10 nouvelles et 3 pièces de théâtre. Ce qui n'est pas le palmarès d'un dilettante ! »
Contre le choix de l'éditeur de conserver la traduction de Vian
Pourquoi refuser la pluralité ?
Si quelqu'un était capable d'offrir une bonne traduction de Poe qui soit vraiment du Poe, je ne vois pas en quoi cela nuirait à la version Baudelaire. Chacun pourrait choisir entre la fidélité à Poe et la confirmation du talent littéraire de Baudelaire écrivain (de nos jours on dirait créateur de traduction) s'il en était besoin. Et il en irait de même pour Chandler.
Un aspect me choque néanmoins : qu'est-ce qui peut justifier que, dans un même recueil, on publie des titres qui sonnent comme du Chandler (ou presque, il faudrait les avoir lus pour l'affirmer) et d'autres qui sonnent comme du Boris Vian ? Chandler n'était-il pas un auteur à part entière se suffisant à lui-même ?
Par ailleurs, et pour la pluralité, est-ce que les tableaux représentant la Cène ne s'inspirent pas les uns des autres en donnant des œuvres différentes qui sont arrivées jusqu'à nous, qui ont toutes leur spécificité et leur intérêt, reflètent l'époque en même temps que le peintre qui les a recomposés, et parmi lesquelles chacun peut choisir celle qu'il préfère ? To the Lighthouse de Virginia Woolf n'a-t-il pas été traduit quatre fois avec des titres très proches les uns des autres : en quoi cela a-t-il fait disparaître la première traduction publiée ? Et si vous préférez la version de Dylan de All Along the Watchtower pourquoi d'autres ne pourraient-ils pas continuer d'écouter celle de Hendrix, de U2 etc... ?
Il n'y a aucun risque qu'une nouvelle traduction de Chandler anéantisse la traduction de Vian. N'oublions pas que Gallimard, par exemple, continue à exploiter et à réimprimer en poche (Folio Policier) les vieilles traductions Série Noire de Chester Himes sans les remplacer par les traductions toilettées éditées, toujours chez Gallimard, en Quarto en 2007, alors qu'elles sont indéniablement supérieures.
En conclusion que chacun se délecte (et tresse les louanges) de la version qu'il souhaite, mais que tout le monde ait au moins la possibilité de lire l'auteur.
Rendons à Poe ce qui appartient à Poe, à Chandler ce qui appartient à Chandler, et acceptons aussi les variations plus ou moins talentueuses offertes sur les textes de ces auteurs à condition de préciser qu'elles sont des variations. Car ce que l'on peut dire de Baudelaire et (à vous en croire, n'ayant pas personnellement lu son travail de traducteur) de Vian, on ne peut pas le dire de multiples apprentis charcutiers parmi lesquels, pardonnez-moi et, à mon humble avis, je range des noms célèbres.
Pierre Bondil, traducteur chez Rivages. A co-signé avec Natalie Beunat les retraductions de Dashiel Hammett chez Quarto Gallimard et signé celle de The Getaway (L’Échappée) de Jim Thompson chez Rivages.
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L’amateur de littérature que je suis ne peut que regretter cette démarche. Vian ou pas, sa traduction n’est pas fidèle aux textes de Chandler. C’est certes une œuvre qu’il faut conserver, mais il ne faut surtout pas la graver dans le marbre. Depuis les années 1940-1950, la traduction a beaucoup évolué en bien. Il serait donc dommage de priver un auteur de qualité de cet ajout d’importance. Traduire, c’est trahir, mais de moins en moins. Et je serais très heureux de lire également Edgar Allan Poe dans de nouvelles traductions.
Voilà !
Julien Védrenne, journaliste, K-libre
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En tant que traductrice professionnelle, je suis parfaitement d’accord avec Pierre Bondil.
Je voudrais bien, d’une manière plus générale, que quand de grands auteurs, tel que Vian entre beaucoup d’autres, qui ne sont pas des professionnels du métier, traduisent en y ajoutant leur touche personnelle, aussi bonne soit-elle quand ils écrivent, cela ne soit pas officiellement décrit comme une « traduction », mais comme une « adaptation française ». Je pense que cela clarifierait bien les choses.
Rosine Lang, traductrice, http://www.laboutiquedesmots.com/