Premier Panier de l'année, la Jeanne est là
Panier, premier de l’année !
Maux de tête ? Foie fatigué ? J’ai le remède : bouillotte, bouillon et lecture. La couette est optionnelle… et pour les bonnes lectures ça ne manque pas.
Je ne suis guère allée loin pour ce panier : vœux (que je vous présente comme ça vite, la bise et hop !) et festivités obligent, j’ai réfléchi à ce qui m’avait marqué en 2015. Pas un palmarès, car je ne saurais faire de classement. Mais des chouchous, de ceux que j’ai recommandés à ma vieille mère ou aux amis.
Parce qu’elle le vaut bien et que son regard solidaire est sans pareil…
Ce que vit le rouge-gorge
Laurence Biberfeld
éditions Au-Delà du Raisonnable 2015
On connait le talent de Laurence Biberfeld pour les ambiances, les personnages, les dialogues. Elle s’est ici surpassée.
Car, intercalée entre des scènes qui progressent vers une fin mortifère, toute une vie animale s’exprime : les chats, rats, oiseaux, serpents, qui mènent leur vie parallèlement à la nôtre, expriment combien celle-ci leur parait dénuée de toute raison.
Mais venons-en à l’histoire : Garance, cinquante-six ans, taularde sortie depuis peu de prison, est embauchée comme femme à tout faire par une famille d’éleveurs de porcs. Pour permettre à monsieur de trimer, à madame d’assurer l’administration de ce qui s’apparente à une usine de taille respectable, Garance prend en charge le ménage, la cuisine, les soins aux enfants.
Mais que nous raconte réellement Laurence Biberfeld ? Pas vraiment les raisons profondes de la présence de l’ex taularde dans l’élevage. Ni même, on le voit venir de loin, le destin qu’a rencontré une certaine Sophie, disparue un beau jour après avoir travaillé sur l’exploitation qu’elle a quittée sans crier gare. […]
Parce que c’est une découverte, un premier roman, singulier, et que je suis curieuse de la suite…
Corrosion
Jon Bassof traduit par Antoine Pons
Gallmeister 2016
Voilà un roman dont la construction inhabituelle est tout à fait remarquable. Il parait évident que les impressions de lecture seraient tout à fait différentes si le début ne se trouvait dans la fin et vice versa. Ou bien encore, les méprises voulues dont découle cette construction interrogent sur les manières de lire. Sur les images que créent les mots. Sur la partie de soi qui s’implique dans l’acte de lire. Les attendus, les présupposés…
Difficile de ne pas paraître confus… Pour être plus clair il faudrait « spoiler » ce qui serait inqualifiable.
Tentative de dévoilement partiel quand même.
Un vétéran d’Irak au visage abominablement détruit arrive et sème la perturbation dans une petite ville du fin fond de l’Amérique.. Sa laideur, sa folie susceptible, ses délires… tout cela bien retenu, bien ficelé, enfoui dans le silence qui entoure fatalement les gens défigurés comme lui.
Qui est-il ? D’où vient-il ? Le shérif aimerait bien qu’il reparte. Peu importe les réponses. Il pressent le pire… et il a bien raison. […]
Parce que c’est une voix singulière qui mérite d’être écoutée et un sacré regard sur l’humain et la nature.
Les enfants de l’Eau Noire
Joe R. Lansdale traduit par Bernard Blanc
Denoël / Sueurs froides 2015
La Sabine cette « eau noire » coule du Texas aux bayous de la Louisiane. En 1930, un groupe d’adolescents amis comme on l’est à seize ans, à la vie à la mort, décide de fuir la misère et sans doute des risques bien pires. May Lin, leur amie, trop jolie, rêvant de fuir l’obscurité et la pauvreté en s’envolant vers le mirage de Hollywood a été retrouvée morte au fond de la rivière, les mains attachées.
Voilà un groupe de jeunes dont l’obsession va être d’emmener les cendres de leur copine vers le mirage rêvé. Seulement, sur leur chemin surgit bien mal à propos un magot, funeste trouvaille, comme ils s’en rendent compte rapidement. Le fait qu’une des trois jeunes soit noire n’est pas non plus pour rien dans la volonté de fuir leur milieu. En 1930 (en est-il complètement autrement aujourd’hui au fin fond du Texas ?) être amie avec quelqu’un de l’autre communauté n’est pas bien vu. Si l’on ajoute que le troisième membre de l’équipée est homosexuel, on comprend qu’ils aient bien du mal à survivre face aux adultes horribles, bêtes, méchants, alcooliques, violents… du moins en ce qui concerne les hommes. Les femmes sont seulement absentes, soumises, malades de solitude et de tristesse.
Chacun chemine : ensemble et dans sa tête, dans un voyage initiatique sur une barge décrochée de la rive. La Sabine, « source » de vie se révèle assez rapidement noire : noire comme le danger, comme les rapides, comme les tempêtes et comme ceux qui poursuivent le magot et une vengeance amère. […]
Parce que rire noir c’est bon, s’amuser même s’il y a mort d’homme, entre cynisme et sensibilité.
Piste Noire
Antonio Manzini
Denoël 2015
Ah, Monsieur Manzini, merci ! C’est ce que j’ai pensé, du fond du cœur, alors que ronronnaient la banalité des informations quotidiennes. Moi, réfugiée dans ma lecture, je grelottais, je rigolais, je compatissais, bref, j’étais loin, très loin, des tristes et autosatisfaites soirées télévisuelles.
Le sous-préfet Rocco Schiavone (ne pas l’appeler commissaire, ça l’énerve, ça n’existe plus !) est un condensé extrêmement réussi de tous les commissaires de fiction connus. Il a la main leste comme Workan, le commissaire fétiche de Hugo Buan. Il a un grand respect pour la nourriture, comme Montalbano, de Camilleri et déteste ses subordonnés idiots. Il n’aime pas sa hiérarchie (comme à peu près tous ceux que j’ai lus) et déteste sa mutation.
« On » lui a fait quitter Rome pour la vallée d’Aoste. Mille cinq cents mètres d’altitude au mois de février : il lui faut abandonner ses « clarks » (vous savez, ces mocassins à lacets en peau des soixante-huitards ?) et acheter des gants.
Ce commissaire-là, s’il n’est pas toujours très « honnête », n’est cependant pas pour autant un ripoux. Il vole les voleurs. Pas très moral, mais… cela n’empêche en rien un talent de déduction exceptionnel. […]
Et tant d’autres à venir ! Chaussez vos lunettes, recouchez vous, encore un weekend avant la grand toboggan 2016.