Hôtel Waldheim de François Vallejo, vu par Jean-Claude V.
Je connais Jean-Claude Vallejo de longue date, depuis que 813 tenait ses AG annuelles au Mans. J'ai suivi son parcours depuis : créateur de la médiathèque Michel Lebrun à Loué, participant au prix Michel Lebrun du Mans... C'est pourquoi, sollicité comme il nous arrive souvent par une éditrice, Viviane Hamy -qui m'envoie régulièrement les romans de Dominique Sylvain- j'ai eu envie de lire en avant-première le roman de François Vallejo (frère du précédent) nullement présenté comme un polar.
Bien m'en a pris car c'est un roman envoûtant.
L'histoire, rapidement, un homme,Jeff Valdera, reçoit une carte postale très datée, représentant l'hôtel Waldheim de Davos (Suisse) avec ce texte ainsi libellé : « Ça vous rappel queqchose ? » Intrigué, suite à d'autres envois de cartes postales, il va rencontrer celui qui les lui a expédiées. En fait c'est une grande femme blonde, Suisse allemande, qui va lui rappeler les vacances qu'il a passées à Davos, dans ce même hôtel en 1976.
Cet été là, il jouait et perdait aux échecs avec un allemand et gagnait au jeu de go avec un autre allemand.
Grâce à elle, il va découvrir qu'il a été l'enjeu d'un conflit entre le joueur d'échec (agent de la Stasi) et le joueur de go (historien transfuge d'Allemagne de l'Est). Avec les archives de la Stasi, désormais accessibles, la femme va lui faire revivre cet été là et toutes les actions bénignes qu'il accomplissait, dans son adolescente provocatrice, se révèlent à lui sous un autre jour.
Un roman donc qui distille lentement son fiel, où les repères éclatent et qui m'a beaucoup plu.
Participant à la liste de discussion de 813, alors que j'avais évoqué le roman de François, Jean-Claude a envoyé ce commentaire qui éclaire l'histoire narrée par son frère, séparant la fiction de la réalité.
Il a été d'accord pour que je vous en fasse profiter, voici donc son texte que vous relirez certainement une fois que vous aurez fini le roman.
B.L.
François Vallejo, Hôtel Waldheim, Viviane Hamy, disponible depuis le 30 août 2018
Oui, Hôtel Waldheim, le nouveau roman de François, qui se trouve parmi les 15 goncourables de la sélection de septembre, a une résonance particulière pour moi, car j'ai aussi connu, en même temps que lui l'hôtel Waldheim à Davos de 1974 à 1976, et certains des personnages du livre. L'atmosphère en est parfaitement rendue, c'est truffé de scènes parfaitement authentiques, le tout évidemment transcendé dans une intrigue romanesque, dans le travail de la langue et la patte littéraire et imaginative de mon frangin qui nous entraîne dans une vertigineuse et envoûtante manipulation.Cet art de la manipulation, d'ailleurs, dont les mécanismes sont plus que jamais d'actualité.
Je suis dans une position de lecteur privilégié pour comprendre les ressorts de la création de cette histoire dans ses rapports au réel. En effet, je suis le seul vivant désormais, avec François, à avoir la mémoire de ces séjours en Suisse en commun (nous en parlons). Bien des scènes et le décor ont existé. L'hôtel Waldheim n'est plus un hôtel, le bâtiment a été remanié et est maintenant une résidence d'appartements. Le nom de l'hôtelier ne diffère que d'une lettre. La vieille gouvernante qui faisait le service en chantonnant de façon continuelle (véridique) s'appelait Rosa comme dans le roman.
La scène de la balade vers le cimetière et de l'omelette aux champignons cueillis dans le cimetière sur les tombes de tuberculeux est tout aussi véridique. J'ai aussi dégusté cette omelette sans sourciller. Nos deux tantes, qui nous accompagnaient et nous avaient offert le séjour, étaient un peu dégoûtées par la provenance des girolles. Elles en avaient poliment pris une bouchée, du bout des lèvres. La dame des champignons, Frau Finkl dans le roman, nous n'avons en réalité jamais su son nom. Nous l'appelions, François et moi, "la vieille bourgeoise". Était-elle Juive ? Je ne sais. Elle avait un côté vieille dame d'Harold et Maud, et pouvait aussi faire penser physiquement à Marguerite Duras. La scène de la femme charpentée dénudée au soleil dans la montagne, nous l'avons vue ensemble (en fait elles étaient deux mais l'autre était restée couverte). Pour les filles qui se déshabillaient dans le train, je ne m'en souviens que vaguement, mais je pense que François en a un peu rajouté, ou alors de sa place, il en a vu plus que moi. Il jouait au go et aux échecs avec des Allemands, c'est vrai ; étaient-ils membres de la Stasi ? Allez savoir... François s'est documenté pour l'écriture du roman et il y a eu des trucs pas nets de ce genre à l'époque, en Suisse, RFA et ailleurs.
Tout cela m'a fait remonter aussi des souvenirs. Pendant que le petit frangin (il allait entrer en classe de première) jouait aux échecs, moi je m'emmerdais un peu parfois. Je venais d'avoir le bac, j'étais à la veille d'entrer en hypokhâgne. J'allais traîner mon ennui dans Davos et je ne sais pas si c'est moi qui l'ai abordée ou si c'est elle, plus vraisemblablement, mais c'est comme ça que je suis tombé sur une jeune (et fort jolie) Allemande, sac à dos, 18-20 ans, avec qui j'ai flirté quelque peu, un peu en allemand mais surtout en anglais. Elle m'a trouvé un drôle d'accent et a cru que j'étais Québequois. Limite vexé qu'elle ne m'ait pas reconnu comme Français. L'idée en moi qu'elle me signifiait ou que je trahissais mes origines rustiques de Sarthois !!! Elle est repartie sur le trimard... Maintenant après avoir lu le livre, j'en viens à me demander si ce n'était pas une belle espionne de la Stasi...
Août 76 se terminait, la rentrée se profilait. Il avait fait très chaud, et tout à coup sur les hauteurs de Davos, le dernier matin, la neige était apparue.
Jean-Claude V.