REGARD DU « 813 BRESILIEN » SUR LE ROMAN POLICIER NATIONAL
Quelles sont les tendances des jeunes romanciers de polar brésiliens ? Enigme, noir, thriller ?
La littérature policière au Brésil vit de moments d’intense production et de grande variété de style et d’auteurs bien que le genre soit le plus prisé des lecteurs brésiliens et que les romanciers n’aient pas toujours le soutien et la reconnaissance éditoriale qu’ils devraient avoir des entreprises du secteur. Ces difficultés n’empêchent pas que, tous les mois, arrivent chez les libraires des titres très différents qui confortent la scène littéraire policière. Mais ce qui retient le plus l’attention, ce n’est pas la quantité de livres, mais plutôt la diversité de la production. Pays continent, le Brésil a maintenant des auteurs originaires de toutes les régions. Dans le nord, Edyr Augusto surprend par sa prose brutale et rapide. Dans le sud, d’autres auteurs flirtent avec la mélancolie et le régionalisme. La violence avec des touches de perversion déborde des pages de romanciers comme Raphael Montes. Leurs personnages sont satiriques et ingénument brésiliens. Paulo Lins, Arthur Dapieve, Tony Bellotto effacent les frontières de la fiction en déchirant le tissu réel et moral. D’autres fouillent leur coffre à mémoires et, inquiets, hésitent entre nouvelle et roman. Alberto Mussa, lui, entre dans des projets plus ambitieux qui se rapprochent du roman historique. Sans oublier l’extraordinaire moisson d’écrivaines de tous âges, origines et thèmes. Il y a un bataillon d’auteures derrière les claviers qui martèlent les touches, crééent de fausses pistes et résolvent des affaires criminelles.
Vers qui s’oriente le gout des lecteurs brésiliens ? Des auteurs nationaux, anglo-saxons, français, de l’Europe du Nord ? Quelle place réservent-ils aux auteurs brésiliens ?
Les statistiques du marché éditorial brésilien démontrent que le public consomme beaucoup de littérature policière étrangère, soit parce que les grandes maisons d’édition achètent les droits de traduction des grands lancements internationaux, soit parce que les auteurs qui occupent l’imaginaire collectif du genre viennent d’ailleurs. Aujourd’hui, les livres sortent dans les librairies du pays au même moment que partout ailleurs dans le monde, comme c’est arrivé avec les deux volumes de David Lagercrantz, la suite de la série Millennium de Stieg Larsson. Cet alignement signe un temps où les grands éditeurs ont des stratégies globales pour distribuer leurs titres en plusieurs endroits, mais ce n’est pas la seule raison. Bien que le Brésil affiche des taux d’analphabétisme élevés, sa dimension offre un marché de lecteurs consommateurs important et en augmentation, prometeur pour le secteur. Ainsi les grandes maisons d’édition internationales ne mettent pas le Brésil à l’écart de leurs stratégies de publication littéraire.
L’autre aspect déjà évoqué est que les grands auteurs de policier sont surtout des auteurs étrangers. Agatha Christie e Conan Doyle se vendent toujours très bien que ce soit en poche ou en coffrets de luxe, avec une reliure sophistiquée et sur papier bible, destinés à des collectionneurs. Georges Simenon est régulièrement republié pour un public captif. Harlan Coben, Dan Brown e James Patterson ne quittent pas les tableaux des livres les plus vendus depuis des années, publiés par les éditions Arquiero. Enfin, les éditions
Record, Rocco, Gutenberg, Vestígio se sont essayées à la publication d’auteurs géographiquement éloignés. Les nordiques ont reçu un bon accueil au Brésil qui n’a pas résisté à cette vague mondiale. Poussé par les films issus de ses livres, Stieg Larsson est le plus connu d’entre eux, mais Lars Kepler, Arnaldur Indridason e Camila Läckberg ont aussi leurs fans. Jo Nesbo et Henning Mankell ont fait une forte impression. Signalons les éditions Darkside Books qui allient la publication de classiques de l’angoisse et du suspense avec une présentaion soignée et une belle typographie. Cela ne veut pas dire que les lectuers brésiliens ne lisent que des romans étrangers, mais il est vrai que pour les brésiliens les choses sont plus difficiles chez eux.
Existe-t-il au Brésil des associations de lecteur de roman policier comme 813 en France ? Ou des associations d’auteurs ou des institutions qui défendent le roman policier en général et le roman policier brésilien en particulier ?
Il n’y a pas de tradition associative de ce type au Brésil. Quelques maisons d’édition ont investi dans la formation de cercles de lecteurs mais pour la littérature en général, pas spécifiquement pour le roman policier. C’est une stratégie d’éducation du public, de fidélisation des lecteurs, et de repositionnement sur le marché éditorial. Il y a des fan-clubs autour de grands auteurs comme Agatha Christie qui ont une certaine notoriété sur les réseaux sociaux et qui arrivent à mobiliser, mais rien qui impacte le monde éditorial.
Quant aux auteurs nationaux, une bonne nouvelle : ’Association Brésilienne des Auteurs de Roman Policier et de Terreur est née début 2018 (ABERST) dont l’objectif est d’organiser la profession. Claudia Lemes est sa créatrice et présidente. Elle souhaite rapprocher auteurs et éditeurs, former, orienter et professionnaliser le secteur. Le sentiment que beaucoup de manuscrits étaient enterrés et ou évalués par de publishers ainsi que l’arrivée croissante de nombreux jeunes auteurs l’y a encouragé. Des événements de présentation d’auteurs et de lancement de livres, la création d’un prix littéraire et des cours de formation ont été mis en place. L’ABERST attire plutôt de jeunes auteurs qui n’ont pas encore de contrats avec des éditeurs. Elle peut donc contribuer à définir un cadre relationnel entre eux, ce qui est une première au Brésil.
Même question pour les éditeurs brésiliens. Publient-ils facilement des auteurs nationaux ? Existe-t-il des collections policières ou Noir ? Ou bien les polars sont-ils publiés comme la littérature “blanche” ?
Les éditeurs brésiliens sont plus réservés avec leurs compatriotes, mais il y a des risques bien calculés comme c’est le cas avec Jo Soares édité par Companhia das Letras. Showman du théâtre et de la TV, il a été l’un des hommes les plus influents de ces dernières années, et cette visibilité médiatique ne peut qu’aider à la vente des livres.
Le même éditeur a trois grands noms brésiliens, traités avec égard, mais rien de comparable avec les grands étrangers. Rubem Fonseca qui est considéré comme le père du genre au Brésil publie plus rarement et une partie de la critique lui a manifesté une certaine mauvaise volonté. Ce qui a été le cas avec Calibre 22.
Luiz Alfredo Garcia-Roza a déroulé une carrière solide, engrangeant des prix importants en s’appuyant sur un personnage récurrent – le commissaire Espinosa – qui a été produit en série télévisée. Fonseca e Garcia-Roza sont des auteurs âgés, respectivement 93 et 82 ans, Companhia das Letras a pris plus de risque avec Raphael Montes, 30 ans, et son Dias perfeitos traduit et vendu dans 13 pays.
L’éditeur Rocco publie Patricia Melo et tente de lui donner la dimension qu’elle mérite. Apparue il y a plus de 20 ans comme le successeur de Rubem Fonseca, Patricia Melo n’est pas devenue le phénomène éditorial espéré par le secteur. Malgré tout, ses dix titres l’ont consacrée dans l’univers du roman policier, lui permettant d’être traduite à l’étranger.
Les grands éditeurs brésiliens pourraient faire plus d’effort vis-à-vis des auteurs nationaux, qu’ils réorientent souvent vers de petites maisons d’édition ou vers des sites électroniques ou d’autoédition.
Les collections policières ne sont pas une priorité pour les éditeurs brésiliens. La Companhia das Letras dispose d’un catalogue enviable appelé le Club du crime qui a réuni des titres venus d’autres maisons. Mais ce n’est pas une collection réservée aux auteurs nationaux. Record a une collection Crime et suspense mais n’y figurent que des auteurs étrangers de James Elroy à Andrea Camilleri, en passant par Michael Conelly et José Latour. L&PM Editores publie en format poche les grands classiques du genre : Agatha Christie, Conan Doyle, Simenon e Edgar Allan Poe.
En conclusion, le marché brésilien ne privilégie pas les auteurs nationaux qu’ils ne considèrent pas comme des produits nobles méritant une attention et un traitement éditorial soutenu.
Comment s’organise la relation entre les auteurs et leur public : y-a-t-il des festivals dédiés au roman policier (comme celui de Portalegre) ? Des conférences ? Des sessions de dédicace ? L’Université s’intéresse-t-elle au roman policier ?
Un marché littéraire ne vit pas seulement par ses auteurs, ses éditeurs et par ses lecteurs. Il a besoin de publications spécialisées, d’organisation et d’associations qui militent autour, que des événements réunissent toutes les parties prenantes. Le marché brésilien manque de tous ces éléments. Les festivals littéraires sont monnaie courante partout dans le monde, ce n’est pas encore le cas au Brésil à l’exception de quelques initiatives courageuses et isolées. Porto Alegre Noir en est une, et elle a permis que soient présentée la production écrite du genre de l’auteur à l’éditeur. Pendant trois jours, il y a eu des débats, des lancements de livre, des projections de film et l’offre de formations. Les organisateurs et les participants ont jugé cette initiative très positive et devant se renouveler dans les prochaines années, avec dans l’idée que d’autres villes réalisent des événements similaires en mettant l’accent sur la production littéraire locale.
A l’Université, pendant longtemps, la littérature policière a souffert d’un préjugé négatif à peine voilé, considérée comme un genre mineur. Heureusement, quelques programmes de master éveillent l’attention sur la qualité rédactionnelle et l’importance littéraire du roman policier. Dissertations et thèses sont publiées avec une certaine régularité.
Quelle évolution pour le roman policier national au Brésil ?
Peut-être est-il un peu tôt pour parler d’une école de littérature policière brésilienne. Le genre a une histoire qui a un peu plus de cinquante ans, et qui est directement liée à l’urbanisation des villes, à l’explosion démographique et à l’augmentation de la criminalité. Mais elle a aussi ses racines dans les déraillements du développement du pays et dans l’incapacité des institutions policières à assurer la sécurité. Avec l’arrivée récente d’auteur comme Paulo Lins et Ferréz qui sont issus de couches plus populaires, les histoires de crime explorent les blessures de l’identité nationale. Les nouvelles voix féminines donnent un éclairage nouveau sur le crime et mettent l’accent sur les formes les plus cristallisée de la violence symbolique. Voilà pourquoi nous avons de bonnes raisons de penser que la littérature policière au Brésil va continuer sa recherche de son propre ton malgré les nombreuses difficultés liées à sa reconnaissance et à sa commercialisation. Les temps ne sont pas faciles, mais ils ne l’ont jamais été pour les auteurs nationaux. Heureusement nos auteures et auteurs sont des récidivistes invétérés comme les assassins qui habitent leurs pages.
Propos recueillis et traduits par Pierre Michel Pranville auprès d’Ana Paula Laux et Rogério Christofoletti