Pas un panier, toute une hotte
Il existe, bien sûr, vous vous en doutez, un chemin médian, j’oserais dire un remède à toutes les embuches du monde : la lecture.
Pour rester dans le ton de l’époque, voici, de Maurizio de Giovanni, Le Noël du Commissaire Ricciardi, chez Rivages Noir, 2011, qui vous offre la panoplie complète : crèche napolitaine –la vraie, l’unique, spécialité locale mondialement reconnue- et petit Jésus. Il manque Saint-Joseph, mais vous le verrez, c’est la clef de voute de l’histoire. Les effluves de cuisine de fêtes napolitaines titillent les papilles malgré les restrictions imposées par le pouvoir fasciste : car oui, cette enquête de Ricciardi se déroule en en 1932. Deux victimes : un officier fasciste préposé au port et son épouse. Un couple sans histoire, une petite fille tranquille brutalement orpheline. Ricciardi présente la particularité de percevoir l’âme des victimes de mort violente, de percevoir leur ultime pensée. C’est une malédiction pour lui, car cette douleur infinie, il la porte sans jamais pouvoir s’en défaire, et toujours des morts s’ajoutent aux morts anciens. Il trouvera le criminel, bien sûr, et la joie pour le lecteur sera d’être pris à rebours de ses prédictions.
Ce Noël, avec la fièvre des préparatifs dans une ville balayée par des vents glacials, l’enquête offrant une série de portraits d’une touchante humanité, n’est que l’un des opus dans lesquels on peut retrouver le commissaire Ricciardi, son époque, entre histoire de la société, du pays, et celle des hommes. Neuf romans, un cycle saisonnier, un cycle festif, vous permettent de continuer à baigner dans une atmosphère légèrement crépusculaire à la séduisante mélancolie.
De Giovanni est aussi l’auteur d’une autre série mettant en scène, toujours dans sa Naples chérie, cœur battant de son œuvre, un policier contemporain tout aussi attachant.
Comme c’est Noël, et que le panier est une hotte, comme entre amoureux du genre on ne peut rien s’offrir de plus précieux que des conseils de lectures, les douze romans déjà traduits en français vous sont rapidement chroniqués ci-dessous. Croyez-en une fan de bon polar, cela vaut la peine. Et comme sous le sapin on peut rêver : il y a encore des romans non traduits, promesses d’autres plaisirs.
On dispose donc en France actuellement de deux séries nées de la plume de Maurizio de
Giovanni. Car ce bougre d’homme écrit en série : il y a le commissaire Ricciardi, celui d’autrefois, qui ne porte jamais de chapeau, car cela lui donne des migraines et l’inspecteur Lojacono, contemporain, qui fuit sa Sicile natale et de douloureux soupçons de collusions mafieuses.
L’un comme l’autre, ces policiers sont des humanistes. Pas très doués avec les femmes, mais attentifs, intuitifs. Dans le premier cas, on appréciera une légère touche de fantastique : Ricciardi percevant ce qui reste de l’âme après une mort violente. Dans l’autre, on appréciera le père affectueux, l’homme incertain, l’adepte de l’observation silencieuse. Ils ont en commun d’avoir souvent des relations difficiles avec leur hiérarchie, mais le développement de Lojacono –série contemporaine- évolue vers plus d’espoir tandis que Ricciardi semble condamné à une douloureuse solitude, heureusement compensée par la collaboration avec une sorte de Sancho Panza : le brigadier Maïone homme simple et chaleureux.
Dans la série Ricciardi, il y a d’abord les saisons : dans le premier paru en 2007 en Italie, traduit par Odile Rousseau, pour Rivages Noir en 2011,
L’Hiver du commissaire Ricciardi, la victime est un ténor odieux, mais doté d’une voix magnifique. C’est l’occasion de rencontrer Livia, la veuve, une cantatrice, qu’on retrouvera tout au long des différents romans, qui va s’éprendre follement de Ricciardi. En vain ? C’est un peu plus compliqué que cela. Pour nous, c’est l’occasion de découvrir les deux personnages secondaires qui accompagnent le commissaire tout au long de la série et ne sont pas pour rien dans le bonheur de lecture ; le médecin au fichu caractère peu compatible avec le fascisme naissant : le docteur Modo ainsi que le brigadier Maïone, homme au cœur large et puissant, qui le secondent dans ses enquêtes.
En 2008, dans Le Printemps du commissaire Ricciardi, Rivages Noir en 2013, Ricciardi cherche à comprendre pourquoi on a assassiné une pauvre vieille tireuse de cartes. Qu’a-t-elle pu voir - ou ne pas voir ? - dans l’avenir, qui lui soit devenu fatal ? Mais Riccciardi est tout à la fois mécréant et rétif aux obscurantismes. Son scepticisme lui permettra de décrypter l’affaire.
2009 : L'Été du commissaire Ricciardi, Rivages Noir, 2014 : après les frimas et les prémices trompeurs du printemps, voici l’implacable canicule de l’été. Du genre qui vous anéantit, vous empêchant même de penser. C’est une duchesse qu’on retrouve occise chez elle, alors que l’aristocratie pèse encore de tout son poids dominant, dans le contexte d’un fascisme sérieusement émergeant, et avec la délicate évocation des amours homosexuelles interdites.
En 2010, traduit en 2015, L'Automne du commissaire Ricciardi, toujours chez Rivages, Ricciardi, avec la sensibilité qui le caractérise, décide de rendre justice à un des sugnizzi, ces gamins de la rue, trouvé mort un triste matin dans la rue. De froid, de faim, comme d’autres ? Ou victime de mauvais traitements ? Plus que jamais le formidable médecin qui seconde Ricciardi, mal pensant politiquement, lui sera de grand secours alors que le Duce se prépare à visiter Naples, et que le climat policier est exécrable. Poignant.
Avançons dans le temps : après la série saisonnière, ce sont les fêtes, parfumées, gourmandes, qui vont rythmer la vie de Ricciardi.
2011 Le Noël du commissaire Ricciardi, même traductrice, même édition française : Rivages /Thriller, 2017. En ces fêtes célébrant la naissance de Jésus et la famille, c’est la mort d’un officier fasciste et de son épouse que Ricciardi doit élucider dans un contexte politique de plus en plus pesant et délicat pour le commissaire. -voir plus haut-
2012 Les Pâques du commissaire Ricciardi, 2019 en France, où l’on découvre la vie des prostituées en maison. Pas les pauvresses édentées du port, mais les beautés qui accueillent leurs clients fortunés comme des amis. Ça ne les empêche pas de souffrir ou de mourir, comme l’immensément belle Vipera, celle dont la beauté fut une malédiction.
2014 L'Enfer du commissaire Ricciardi, Rivages/Noir, 2019, est une plongée dans le cauchemar d’une passion tardive quand la carrière n’a plus de sens, ou quand le temps qui passe a tout laminé pour certains alors que d’autres n’oublient rien. Un nouveau mystère pour Ricciardi qui doit comprendre pourquoi et par qui un célèbre obstétricien a été propulsé au travers de sa fenêtre du quatrième étage.
Enfin, le dernier – pour l’instant, Rivages l’a promis – .
2015 Des phalènes pour le commissaire Ricciardi, traduit par Odile Rousseau, Rivages/Noir. Grand format », 2020, le dernier, voit encore et toujours Ricciardi coincé au bord d’un amour qu’il se refuse, un autre qui le poursuit. (à ce propos voir la note plus longue écrite après la lecture qui pour moi, fut la découverte de Ricciardi et de son créateur). Cette fois, il doit sauver un innocent qui s’accuse mystérieusement d’un meurtre qu’il n’a pas commis alors que l’aristocratie et la bourgeoisie s’envisagent réciproquement avec mépris.
De manière assez incompréhensible, le premier de la série en 2006 : Le lacrime del pagliaccio ainsi que quatre romans faisant suite à la dernière traduction, parus en Italie déjà, ne sont toujours pas publiés en France. Pas encore, il faut attendre !
Dans la série Lojacono, entamée en 2012, ce sera plus vite fait. Ce ne sont que trois romans sur sept qui sont pour l’instant traduits.
La Méthode du Crocodile, qui entame le bal, nous permet de faire la connaissance d’un inspecteur crucifié et abandonné à des soupçons injustes, rejeté, muté, séparé de sa femme qui le quitte, privé de sa fille qu’il aime, toutes deux restées en Sicile. Le tueur pleure, sans cesse, assassinant à répétition des jeunes gens sans connexion apparente, des larmes pathologiques et vénéneuses. Entêté, intuitif, Lojacono finira, bien sûr, par arriver jusqu’à lui. Mais ne sera-t-il pas trop tard ?
Dans La Collectionneuse de Boules à Neige on navigue dans la bourgeoisie napolitaine, loin des bassi misérables du XXieme siècle (habitations insalubres des quartiers pauvres). Mais les amours et les désamours, les rivalités, l’argent, provoquent encore et toujours les mêmes dégâts. Lojacono a intégré une équipe étrange de flics réprouvés, y a trouvé sa place, et le groupe des « Salauds de Pizzofalcone » se constitue, galerie de policiers plaisants pour le lecteur, haut en couleur, à l’épaisseur touchante. Qui a tué la femme du notaire ? La réponse au « pourquoi ? » sera décisive.
Le dernier disponible pour l’instant, titré Et l’Obscurité Fut, est poignant, renvoyant chacun des protagonistes du roman, et le lecteur, à ses pires craintes : la disparition de son enfant, l’enlèvement pour d’obscures raisons sans doute mercantiles. L’amour, l’argent, encore, les deux grands moteurs de Giovanni.
Le son, les couleurs, les parfums. La musique, les chansons, les cris, la gastronomie. L’amour, la jalousie, le désir, la haine. La bêtise, la finesse, les relations familiales. Et l’écriture ! Car cet auteur écrit avec des délicatesses poétiques, des lignes pesées, des paragraphes calibrés d’une justesse totale. Tout, donc, avec la musique particulière de langue d’un écrivain du niveau des autres grands Italiens qui nous racontent un pays frère et mystérieux à la fois. Les Camilleri, De Cataldo... qui nous en ouvrent l’âme secrète.
Notre chance, à nous lecteurs compulsifs, c’est que ce diable d’homme ne cesse d’écrire : plus d’un roman par an, et des nouvelles en avalanche. L’espoir est permis, donc...