La boucherie est ouverte
Je suis du côté de Verdun en 1916. Je suis marié avec la 22ème division d’infanterie et chaque jour, les copains sont éparpillés, en morceaux ; leurs cadavres me sauvent la vie.
Les obus par millions tuent les hommes et la terre.
Les rats sont à leurs affaires. Demain, je m’en remplirai l’estomac. Les prostituées pas si loin des champs de bataille, participent à l’effort de guerre. Les Schleus tirent juste et me voilà transformé en Blaise Cendrars.
Dans les hôpitaux, les résultats de la guerre : les “chanceux” et les perdus à jamais.
Il va falloir montrer à maman l’enfer, son garçon auquel il manque un bras d’homme et à mon père l’immense plaisir de le serrer contre moi.
Puis, me voilà devenu l’indispensable soldat à montrer, le soldat exemplaire, petite partie de la victoire.
Dans le bistro du coin, je refais la guerre et parfois l’invente. Les infirmières deviennent des beautés de roman rose.
Après le sang de Verdun, il faut continuer avec le sang de Rosalie et ce qui en sort, Héloïse.
La vie qui va, la mort qui nous emmène. Un notaire nous arrose.
Nous n’avons pas l’habitude de l’argent et ne savons qu’en faire. Comme dans toute maison bourgeoise, une chatte y a ses habitudes et ses chatons et si l’on laisse faire, la dame aura des centaines de petits. À moins que ?
La mer, elle aussi, me montre son éternité. Et je décide de celle des autres. “Cerceuils Kergoulé”. Je passe mes journées à clouer des boites. Le 3 septembre 1939, va-t-il me donner plus de travail ? Du travail, oui !! Je fais copain copain avec les ”boches”. La vie et la mort continuent leur chemin.
J’ai mangé du rat dans les tranchées. La folie me prend et je fabrique des cages pour les attraper. Le rat, je connais, et l’homme ??
Soixante ans de traumatisme, la guerre, les hommes, les ”amis” comme les ennemis, le sang, les corps impossibles, la trahison et toujours la couleur du sang et à cause d’une blessure, “le goût de la viande”. La question est : “c’est quoi le vrai goût du sang ??
Soixante ans après.
Le Goût de la viande ; Gildas Guyot; Édition In8, septembre 2018.