Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

 Casse tout risque

Diamant noir, film franco-belge de Arthur Harari, 1 H 55, avec Niels Schneider (Pier), August Diehl (Gabi), Hans-Peter Cloos (Joseph), Abdel Hafed Benotman (Rachid), Raphaële Godin (Luisa), Raghunat Manet (Gopal), Guillaume Verdier (Kevin). Sortie le 8 juin 2016

 

                         

 

Voici un film tout à fait remarquable dont le rattachement à notre genre de prédilection repose sur deux éléments : le thème central de ce film noir, la vengeance d’un fils contre le riche milieu de son père qui l’aurait banni, ensuite par le truchement de l’un de ses acteurs, Abdel Hafed Benotman, écrivain décédé il y a peu (dont l’oeuvre est encore célébrée par les éditions Rivages avec la parution de son dernier roman, inachevé  Un jardin à la cour). Diamant noir est dédié d’ailleurs à sa mémoire. 

 

Comment parler de ce film dont les thèmes et les fils narratifs sont à la fois abondants, fluides   et constitutifs d’un cinéma  qui travaille sur ses fondamentaux ? Au départ l’œil et la vision, tant la première séquence du film est comme décortiquée en partant du regard d’un jeune diamantaire d’Anvers victime d’un accident de travail au moment où il taille une pierre.

 

Le fils du supplicié, bien des années après, au nom prédestiné de Pier (Niels Schneider,) se livre à des vols nocturnes  auxquels il excelle grâce à sa fantastique mémoire visuelle. Il opère sous la direction de son père de substitution, Rachid : Abdel Hafed Benotman campe ici un voleur professionnel jouant à merveille de la fibre affective légère mais ferme, avec ce zeste de gouaille dans le regard. L’annonce de la mort de son père biologique amène Pier à renouer avec sa famille, bien malgré lui d’ailleurs, et à partir pour Anvers où il va préparer un vol de diamants.

 

Mais sa résolution se fragilise, à la rencontre d’autres adultes qui tout au long du film sont prêts à le prendre sous leur protection : un tailleur de diamant, un joaillier indien, et son oncle même. Et alors même que  Rachid réapparaît dans la préparation du vol. Avouez qu’il y a de quoi être perturbé. Le film est ainsi ponctué de ces « formations »  si  diverses qui lui sont proposées, de  ces rites de passage qui sont ainsi induits et  du mal qu’a Pier à s’affirmer face à ces adultes.

 

La valse hésitation de Pier se mesure encore à sa fascination pour le travail délicat et professionnel de coupe des diamants auquel il est initié: un aspect résolument documentaire  du film que ce soit  à Anvers  dans des conditions modernes sécurisées, ou  quasiment dans un autre espace-temps en Inde.

 

 Le fascinant monde des possibles qui s’ouvre ainsi à ce solitaire, allez le découvrir dans les rares salles qui projettent encore  ce Diamant noir.

   

 

lapchine.jpgMon ami Ivan Lapchine (1984, film soviétique d’Alexeï Guerman, 1h40)
La mort d’Alexeï Guerman, réalisateur soviétique d’abord, russe ensuite, ravive le souvenir de l’un des rares films de ce pays (à cette époque) qui puisse s’apparenter au genre policier. Il s’agit de la traque de bandes criminelles dans l’hiver 1935, à Leningrad par une brigade de policiers d’élite menés par le bel Ivan Lapchine, chef de l’instruction criminelle. À l’étroit avec ses adjoints dans un appartement communautaire, on le voit filer en side-car, la clope au bec, impérial sur sa machine à la poursuite des bandits, dans un décor glacé et hivernal. Où la misère noire des habitants, sur laquelle prospère le marché noir organisé par des truands, ressort encore plus crue et terrible. 
Guerman a tout un art de la mise en scène nonchalante, avec une caméra qui paraît s’enrouler autour des personnages, tous aussi graves et désespérés. Lapchine est autant concerné par son travail que par l’amour sans espoir qu’il porte à une médiocre actrice, laquelle lui préfère un journaliste. Et le point d’orgue de l’enquête est la mise à mort du chef de bande dans les dernières images, dans un art du montage elliptique et violent.      
Guerman a ici réalisé un film à partir de ses propres souvenirs d’enfance, d’où le caractère souvent volontairement haché de l’histoire et l’impression, parfois, d’un récit en forme de puzzle.
Métaphorique parfois presque jusqu’à une forme d’abstraction, le film montre en même temps des conditions de vie quotidienne plutôt insupportables dans l’URSS des années 30. Il fut interdit pendant plusieurs années par les censeurs de l’ère soviétique.

BD (mars 2013)

 

 

 

shadow 

 

 

 

 

 

Shadow Dancer (2013, film britannique de James Marsh, 1h 41 )
Droits et devoirs d’une « terroriste » irlandaise.     
Soit au départ, Colette (Andrea Riseborough tantôt frêle et tantôt forte dans son imperméable rouge vif), une jeune femme de l’Ira qui trimballe une bombe dans le métro londonien au début des années 90. Elle se fait serrer par le MI5 britannique ; lequel sous les apparences de Mac (le très viril Clive Owen) lui pose le marché en main : soit elle collabore avec la police, soit elle en prend pour plusieurs dizaine d’années et ne verra pas avant longtemps son petit garçon. Elle n’a donc pas le choix, il lui faudra trahir les siens, y compris à l’intérieur même de sa famille.    
Mais voilà : les soupçons montent contre elle au sein de sa cellule de l’Ira ; et bien qu’elle soit défendue par un de ses frères et protégée par sa mère, elle risque fort de mal finir, d’autant que Mac finit par comprendre qu’il a été dans cette affaire utilisé par sa hiérarchie ; et que, par ailleurs, il a un tendre sentiment pour la terroriste papiste, lequel semble partagé.
Et pourtant Shadow Dancer n’est pas plus une histoire d’amour qu’un thriller politique. L’action est filmée au plus près des personnages, dans des couleurs remarquablement ternes ; le climat fortement océanique de Belfast n’est pas ici en cause, mais bien plutôt la vie de cette famille catholique, où les générations, tout comme le malheur (la scène d’ouverture relate la mort du petit frère de Colette, abattu quelques 20 ans plus tôt par une balle perdue) s’empilent dans un seul logement ; et en vis-à-vis, on trouve un univers bureaucratique tout aussi étouffant, j’ai nommé l’appareil policier au travail. Tous les signes d’une atmosphère oppressive sont là : poids de la cellule familiale de Colette, qui la protège autant qu’elle la garrotte ; et de l’autre côté, la machine policière qui n’est pas à une bavure mortelle près. Le surprenant dénouement assure au fond la continuité glaciale d’une histoire familiale, sans autre espoir que celui du sacrifice librement consenti.     
BD (février 2013)

 

 

 

 

claleurDans la chaleur de la nuit (1967- film étasunien du canadien Norman Jewison1h 49) avec Sidney Poitier, Rod Steiger

Ce film ressort sur grand écran.

L’œuvre n’a pas perdu grand-chose de ce qui la fit remarquer à sa sortie : une histoire policière pour raconter le racisme ordinaire du sud des EU dans les années 60, un récit linéaire, deux acteurs célèbres en haut de l‘affiche, Sidney Poitier, le Noir, membre de la police de Philadelphie et Rod Steiger, le Blanc, chef de la police de la bourgade où se déroule l’histoire.

Incontestablement, il y a dans ce film noir antiraciste du rythme, de la tension. Un riche industriel venu du Nord dans cette petite ville de Sparta située dans le Mississipi, localité poisseuse sous la chaleur écrasante, est retrouvé assassiné alors qu’il cherchait à recruter des Noirs pour implanter son usine ; le coupable est vite trouvé, un Noir, Virgil Tibbs, en transit la même nuit à la gare locale. C’est d’ailleurs un flic de base, assez incompétent, interprété par l’estimé Warren Oates, qui l’exhibe comme un trophée de chasse dont il est plutôt satisfait. Mais il devra vite remiser son triomphe, aussi dépité que son chef, Gillespie.

Car Tibbs est inspecteur de la police criminelle, venu voir sa mère et qui attendait sa correspondance. Le placide et roublard Gillespie voit tout le profit qu’il peut tirer à utiliser ses compétences. À son corps défendant, l’inspecteur défère à l’injonction de sa hiérarchie sollicitée par Gillespie : il y a d’ailleurs une sorte de contrat à durée déterminée où chacune des deux parties essaie de tirer profit au plus vite de l’obligation de résultat, Tibbs n’étant « prêté » que pour une durée limitée. Cette urgence est scandée, en arrière-fond sonore, par le bruit des trains qui passent et par le sifflet des locomotives (une réminiscence du « Train sifflera trois fois », le western de Zinneman ?) ; d’ailleurs les voies ferrées délimitent les frontières de l’État (dans la scène de la traque d’un suspect), comme s’il fallait démontrer que Tibbs est quelque part prisonnier.

Mais l’essentiel n’est pas là : plutôt dans le refus des Blancs mâles de laisser un Noir enquêter et déployer son savoir scientifique. La caméra s’attarde sur les belles mains noires de l’inspecteur palpant la chair blanche flétrie du cadavre, sous les yeux horrifiés des employés de la morgue, abasourdis par cette profanation ; et surtout la scène célèbre où Tibbs rend sa gifle au grand propriétaire hors de lui d’être suspecté par un Noir ; sans oublier les traques du policier par des voyous, tentant de lui faire la peau, successivement en jouant au stock –car avec sa voiture, à coups de barre de fer, ou à coups de revolver, de nuit

Il faut aussi retenir l’opposition assez réussie entre les deux flics : on admirera de  Sidney Poitier sa nonchalance élégante (ne serait-il pas copié par l’actuel président étasunien ?) cette manière décontractée de porter, toujours impeccable, costard et cravate, même desserrée par grand chaud alors que les flics locaux rivalisent de tenue vulgaire, et aussi cette distance un peu méprisante qu’il entretient avec eux ; et en face Rod Steiger, dont l’armure de préjugés raciaux se lézarde lentement et précautionneusement pendant le film.

Bernard Daguerre (juin 2012)

 

 

vivarivaViva Riva ! ( Djo Tunda Wa Munga, République démocratique du Congo, 1h38, 2010) avec Patsha Bay Mukuna, Manie Malone et Hoji Fortuna.

Rififi à Kinshasa

Du film noir, le réalisateur magnifie deux socles fondateurs : la ville- Léviathan  et le mortel itinéraire d’un mauvais garçon. Du second pilier, on retiendra la figure de Riva, voyou décontracté débarqué dans la capitale de la République Démocratique du Congo, avec ses 25 000 litres d’essence dérobés à son chef, César, un truand angolais. De quoi se faire un joli pactole, dans Kinshasa qui s’affole de la pénurie de carburant. Mais Riva s’amourache d’une beauté locale, Nora, reine de la nuit et des bars où l’on boit et l’on danse et par ailleurs maîtresse d’un petit seigneur de quartier. Et voilà notre héros parti à lui faire la cour, au péril de sa vie, laquelle est également menacée par César, lancé à sa poursuite avec l’aide d’une colonelle de l’armée congolaise, corrompue (mais qui ne l’est pas dans cette histoire déjantée ?) et par ailleurs lesbienne.

De Kinshasa, prononcez Kin, on verra les larges avenues parcourues à toute vitesse par des automobilistes ou foulées par des piétons également affairés ; les images scandent le déroulement de l’oeuvre comme en ouverture des actes successifs d’une pièce tragi-comique. Car Viva Riva s’amuse avec les codes du genre, en remontant même jusqu’à ses origines feuilletonesques : par la multiplication des personnages typés, comme Anto, le garçon débrouillard petit allié de Rivas, la colonelle qui troque vite ses habits militaires pour ceux d’une stricte religieuse, César le chef mafieux, à la dégaine d’un Mephisto intellectuel, un pasteur reconverti dans le trafic d’essence abattu à l’autel comme dans un polar de John Woo, et encore le frère de cœur de Riva qui malmène sa famille….

On aimera la plongée dans une ville- labyrinthe, sans issue de secours: à l’image de ce bordel installé dans un hangar, avec les cloisons en carton qui séparent les espèces d’espace où officient les prostituées, et vers la fin de l’histoire, la traque de Riva dans un immeuble en construction, succession sans fin de murs en béton où il est piégé.

L’argent et le sexe (avec des scènes assez crues), et bien sûr la violence, circulent comme les combustibles de ce récit enlevé, dont j’ai pourtant trouvé le rythme faussement nonchalant, à l’image de son héros. La déliquescence de la société s’agite en arrière-plan comme lorsque Riva retrouve ses parents : à son père qui lui reproche violemment de « boire et forniquer, l’ambition d’une vie », il n’a comme réponse que de tenter de l’étrangler ; quant aux étrangers comme César, ils n’ont que mépris pour le Congo « votre pays, c’est la pire crotte que j’ai jamais vue » jette-t-il à la colonelle.

Polar africain d’un pays dont c’est dit-on le premier long-métrage depuis plus de 20 ans, Viva Riva se consomme comme une illustration réjouissante, habile et attachante d’un tableau de la vie criminelle congolaise.

B.D. (26 avril 2012)

 

lataupeLa taupe (Tomas Alfredson, Grande-Bretagne, 2h 07) avec Gary Oldman, John Hurt, Colin Firth

Affreux, dépressifs et mélancoliques

Le film est tiré du roman éponyme de John le Carré (1974). En dépit d’une narration à la texture volontairement obscure, l’intrigue de départ est des plus simples. À la suite d’une opération ratée en Hongrie, Control (John Hurt) le chef du « Cirque », agence du système de renseignement britannique, est remercié, ainsi que son adjoint, Georges Smiley (Gary Oldman). Si Control, taraudé par cet échec, et déjà bien plombé par l’alcool et les cigarettes, décède peu après, Smiley est secrètement extrait de sa retraite par le gouvernement pour démasquer l’agent haut placé qui sévit à l’intérieur du cirque et fait la taupe pour les Soviétiques. Avec une petite équipe, Smiley va faire la contre- taupe, creusant à la fois dans les archives du service et ses souvenirs professionnels pour identifier le traître.

Peu d’action dans ce film, découpé dans une succession de séquences qui sont autant de coups d’un mystérieux jeu d’échecs, à l’image des figurines que Smiley découvre sur le bureau de son chef : la photo scotchée sur chacune d’entre elles, montre que Control cherchait déjà l’agent double à l’intérieur du directoire du service. Ce labyrinthe désarçonne facilement le spectateur, d’autant que certains personnages en rajoutent dans le hiératique: Smiley bien sûr, opaque derrière ses lunettes de myope,  Bill Haydon, l’un des chefs du cirque, personnage plein de morgue interprété par Colin Firth.

D’où vient la force de représentation de ce monde gris et terne, aux décors glauques d’appartements mal tenus, mal éclairés, de bureaux aux sales couleurs qui vont du verdâtre au marron terne ? De l’articulation de cet univers d’ombres avec les  rares scènes en mouvement comme celle de la « party » de Noël où les fonctionnaires se défoulent en un hommage caricatural à l’Union soviétique, ou bien lors de la liquidation brutale d’un agent double devant un espion torturé. Mais aussi de l’étouffement lent et méthodique de Smiley par lui-même, dépressif (on le serait à moins : aux incessants coups tordus professionnels s’ajoutent les agissements hors champ de la mystérieuse Madame Smiley),  souvent poussé aux marges même du cadre de l’image cinématographique. Mais un agent secret ne fuit pas, il demeure face à l’adversité, et c’est sa seule grandeur, jusqu’à la fin de l’histoire.

BD (14/02/12)

 

une nuitUne nuit (Philippe Lefebvre, 2012, France, 1h 40) avec Roschdy Zem, Sara Forestier et Samuel Le Bihan. 

La nuit est son royaume et le jour sera sa perte

 Simon Weiss est commandant à la brigade mondaine de Paris : son boulot est de tout connaître de la vie nocturne de la capitale, à défaut de la contrôler, voire de l’orienter. Comme il l’explique, de manière un peu sommaire, à la jeune flic (Sarah Forestier) qui lui sert ce soir-là de chauffeur, il peut ainsi renseigner sa hiérarchie sur les riches clients qui s’adonnent aux plaisirs tarifés. Le film respecte la sainte alliance de la triple unité de temps (une nuit), de lieu (Paris saisi dans sa solitude nocturne, le désert des grandes artères et des monuments célèbres figés dans leur splendeur froide et lointaine) et d’action (Simon en croque et la police des polices est à ses basques, il s’agit pour lui, cette nuit-là, de desserrer l’étau qu’il sait peser sur lui).

Simon est donc un flic pourri qui a assumé de l’être : il a rejoint l’enfer cinématographique des policiers malfrats, où avant lui on trouvait par exemple, Dana Andrews, le policier de « Mark Dixon, détective » de Preminger. Tout de noir habillé, comme le diable probablement, il porte la même sobre élégance que les héros des films de Melville. Roschdy Zem est ici impeccable, jusque dans la répétition incessante de ses entrées fluides dans les bars interlopes, au luxe tapageur. Il croit avoir plus d’honneur que les malfrats et les patrons de boîtes de nuit qu’il pense contrôler ; il en aime un comme son frère, interprété avec maestria par Samuel Le Bihan, coquet patron de boîtes qui déambule en manteau à poil de chameau.

La complainte de la fraternité virile, trahie, et de l’honneur perdu est, on le sait, une vielle antienne, à l’écran, comme dans les romans policiers. Ce n’est pas dans le domaine de leur représentation que le film fait mouche. C’est plutôt dans le portrait réussi d’un flic de la nuit, de sa puissance à sa chute.

BD (12/011/2012)

 

invasion-copie-1Invasion( film argentin de Hugo Siantago, 123 mn, 1969) avec Olga Zubarry, Lautaro Murúa, Juan Carlos. 

Ce film culte (comme on le dit souvent un peu trop mécaniquement, mais là, c'est vraiment adapté) est à la fois un thriller politique, un récit fantastique et une préfiguration ce que sera la situation de plusieurs pays latino –américains qui passent sous la botte des militaires dans les années 70. D’ailleurs Invasion fut vite interdit par la censure militaire argentine, dès le début des années 1970, une partie des négatifs volés avant que le film puisse finalement être restauré au tout début de notre siècle.

Dans une ville – pays, surnommée Aquilea (nous sommes en 1957 est-il commenté), un groupe d’hommes entre les deux âges se retrouve au cours de rendez-vous clandestins, dans des cafés, aux coins de rues, dans d’improbables dépôts de train désaffectés, en train de liquider des soldats en faction et de faire le coup de feu pour s’emparer d’un conteneur bourré d’armes et de munitions. Mystérieusement poursuivis par des sicaires, tous habillés en complet ou imperméables également clairs, qui les traquent, les torturent et les tuent. Le groupe est commandé par un homme âgé aux cheveux et à la moustache blanche, Don Porfirio, qui parle à son chat noir et étudie les déplacements supposés de l’ennemi sur un plan stylisé de la ville, dissimulé derrière un rideau mural, comme dans Paris nous appartient, le film de Rivette. Il y a de belles scènes d’actions nocturnes comme l’attaque d’une villa, les coups de feu qui trouent la nuit, les blessés évacués en voiture et dont on essaie d’étancher le sang qui coule de leurs plaies. Le sextuor de personnages en costard sombre font une pause, célébrant leur amitié dans un café en écoutant une milonga prémonitoire avant de repartir au combat. Après leur liquidation (le dernier d’entre eux dans un stade), la relève est assurée par une jeune femme seule rescapée du groupe : elle distribue des pistolets à des jeunes gens, pendant qu’une invasion anonyme, par les airs, l’eau et la terre ferme, prend possession du territoire, filmée comme une bande d’actualité.

Que dire encore ? le scénario est signé de Bioy Casares, Santiago et surtout Borges (avec lequel le réalisateur dit avoir travaillé un an durant). Le traitement noir et blanc de la pellicule est superbe, tout en contraste glaçant. La bande son a des accents, si on peut dire presque surréels, voire carrément surréalistes : sabots des chevaux, cris d'oiseaux, meuglements de vaches, bruits de pas réguliers... Le film fut tourné à Buenos-Aires.

 Lors de sa présentation au festival du film d’histoire de Pessac en novembre 2011, dont le thème cette année était « La conquête du pouvoir », Hugo Santiago a dit de son film qu’il s’agissait « d’un conte…d’une narration fantastique que l’histoire a rattrapée ». Sans doute, Invasion fait partie de ces œuvres qui échappent à leur auteur, comme le réalisateur le dit avec quelque coquetterie. De fait, il nie toute référence à l’histoire de son pays, où dit-il il n’y avait pas de violence à l’époque. Voire…. S'il y avait une filiation européenne, ce ne serait pas avec la nouvelle vague française, pourtant contemporaine, mais plutôt avec Resnais (l'année dernière à Marienbad) et surtout Chris Marker (la Jetée). D’ailleurs Santiago a travaillé en France, à la fin des années 50, comme assistant de Bresson.

Invasion célèbre la résistance d’un être collectif, héros anonymes luttant à la manière des personnages d’une chanson de gestes, dans une sorte d’hommage romantique au sacrifice. Le contraste n’en est que plus fort avec le filmage souvent percutant, violent et glacé.

BD (le 24 novembre 2011)

 

PolissePolisse ( film français de Maïwenn le Besco, 2h 07, 2011) avec Karin Viard, Marina Foïs, Joey Starr, Nicolas Duvauchelle

Police, au secours !

Scènes de la vie quotidienne de la brigade de protection des mineurs de Paris. Nous suivons une douzaine de policiers, hommes et femmes, dans leurs enquêtes et dans leur vie privée. « Travaillant » sur les violences faites aux mineurs, en général sexuelles, mais pas uniquement, la brigade alterne les traques, interrogatoires et aussi les aperçus sur les aléas des vies personnelles de quelques-uns de ces flics.

Si la partie documentaire sur le travail quotidien de ces flics tient la route (encore que les interprètes sont souvent dans le registre numéro d’acteurs), ça ne suffit pas pour tenir tous les cordons d’un bon film. Les différentes affaires dont ils s’occupent donnent froid dans le dos, à voir comment les enfants, personnes vulnérables, peuvent être les victimes d’adultes prédateurs ; mais attention ! Parfois les adolescents sont aussi complices de crimes commis par leurs pairs.
Certes, le film évite l’angélisme, sans doute est-ce dû au travail intelligent de collecte des faits divers. Mais on perçoit que le scénario n’a pas su éviter un effet d’empilement des situations d’enfants développées les unes après les autres.

Maladroitement, l’histoire utilise le traitement des affaires -et la pression souvent insoutenable qu’elle exerce sur les policiers- pour mettre à nu leur mal-être. Et le traitement de Maïwenn, actrice (photographe observant les mœurs policières et finissant par s’impliquer dans la vie de la brigade) par Maïwenn, réalisatrice lasse un peu en auto- émerveillement. Un film qu’on peut se passer de voir.

BD (le 21/11/11)

 

drive-copie-3Drive ( 2011-film étasunien du Danois Nicolas Winding Refn 1h40) avec Ryan Gosling –Adapté de Drive de James Sallis (rivages /noir)

 Zéro de conduite

Il est dans les voitures jusqu’au cou : de jour, mécano dans un garage ou cascadeur de cinéma, de nuit il « arrache » les braqueurs, une fois leur forfait réalisé, à l’aide d’une caisse survitaminée. D’ailleurs le film démarre avec une scène époustouflante où cet as du volant fait preuve d’autant d’indéniables qualités techniques que d’une assez forte adaptation au terrain : il déjoue les forces policières (voitures, hélicoptère) en se fondant dans une manifestation sportive. Il fait à ce point corps avec son véhicule qu’il n’a pas d’autre nom pour se présenter que celui de conducteur (driver). Une jeune et jolie voisine et son petit garçon vont presque arriver à socialiser ce jeune homme mutique, à l’allure si froide de belle mécanique qu’incarne, sobrement, un cure-dent toujours fiché au coin des lèvres, Ryan Gosling. Le héros promène la mère et l’enfant dans sa voiture le long des grands conduits d’eau de Los Angeles, arrivant à esquisser une moue légère de satisfaction devant la manifestation de leur joie : ce sera tout le côté joyeux de l’histoire. Le retour au foyer du mari de la belle, sortant de prison et endetté auprès de ses ex co-détenus, va arrêter net une idylle qui ne demandait qu’à se nouer ; et dans le même temps aspirer l’intrigue dans une noire spirale dont on sait qu’en général, les héros ont du mal à revenir.

On voit bien que du film de genre, Drive a tous les attributs : tension continue et progression tragique de la narration, « béhaviourisme » du héros venu de nulle part, justesse de ton des protagonistes, en particulier le petit chef mafieux joué par Ron Perlman ( vous vous en souvenez : le prognathe moinillon dans Le nom de la rose d’Annaud), bas du casque et vite dépassé par le chaos que sa troupe déchaîne, mais aussi la délicate « fiancée », Carey Mulligan. Et n’allez pas croire que l’essentiel du récit se passe en poursuites en voitures : chambres d’hôtels anonymes, parkings couverts ou non, ascenseur, garage sont des scènes où l’ultraviolence du « driver », cadencée par une bande sonore d’enfer, s’exerce, en général de manière définitive. Nimbé d’une atmosphère mélancolique (on retrouve l’idée de marche du héros vers la mort, presque sacrificielle, à l’œuvre dans son œuvre précédente, le guerrier silencieux ), ce beau film absolument noir est à voir absolument.

Bernard Daguerre (15 octobre 2011)

 

murderer-copie-1The murderer (titre français – Titre original yellow sea, traduction anglaise de Hwanghae, film coréen de Hong-Jin Na 2H 20 mn) avec Ha Yung –woo (Gu-nam) et Kim Sun -eok (Myun)

Encore un beau polar venu de Corée du Sud, mélange plutôt réussi de réalisation, tirée au cordeau, de film noir,  et d’un récit à connotations sociales.

Ça démarre dans une lointaine province de la Chine, coincée entre la frontière nord-coréenne et celle de la Russie. Gu-nam vit misérablement de son boulot de chauffeur de taxi dans l’enclave de Yanji où une émigration coréenne ancienne a fait souche, toujours pauvre et reléguée. Il croupit d’autant plus qu’il perd ses revenus au mah-jong et ne peut rembourser l’argent que la mafia, toute puissante, lui a avancé pour permettre à sa femme d’aller travailler en Corée du sud. Il n’a d’ailleurs plus de nouvelles d’elle. Impressionné par sa détermination et sa violence, entrevue lors d’une bagarre dans un tripot où une fois de plus notre homme s’est fait plumer, un chef mafieux, Myun, lui propose un contrat en Corée du Sud, pour rembourser sa dette et accessoirement, rechercher sa femme. À contre- cœur, le voilà parti après avoir embrassé sa petite fille. Il embarque dans un vieux rafiot, passager clandestin se retrouvant bientôt à Séoul, après une traversée éprouvante en Mer Jaune.

La seconde partie du film est menée tambour battant à partir de la liquidation de la cible, mais pas dans les conditions prévues. Gu-nam comprend qu’il est la victime collatérale des conflits d’organisations de truands, celle de sa province d’origine contre celle de Séoul. Et la police en fait l’ennemi public n°1, alors que dans sa cavale, il doit continuer à rechercher sa femme : est-elle morte, victime de son amant ?

L’art de Hong-Jin Na est assez bluffant : dans les scènes de poursuite, où il n’hésite pas devant l’effet d’accumulation, presque à la limite de l’impossible ou du grotesque : comme la fuite de Gu-nam après le meurtre de la cible dans les rues de Séoul, devant les forces de police coalisées en voiture ou à pied, aboutissant à un gigantesque carambolage ; comme ces déboulés de truands, agitant hachettes, hachoirs et coutelas, occupant toute la largeur de la rue ou d’un grand couloir, à l’instar d’une manifestation fort offensive. Bien sûr, notre héros, bien que fumant comme un pompier, court comme un dératé, nage furieusement dans les eaux du fleuve de Séoul, s’enfonce dans les forêts enneigées sans chaussettes puisque celles-ci lui servent à faire des garrots, fait du stock –cart avec un poids- lourd avant de revenir à un usage plus normal, mais tout aussi furieux en utilisant une voiture, n’est pas insubmersible. Cette gigantesque accumulation de mouvements se traduit par un nombre considérable de plans- plus de 5000- dit-on. Et elle n’empêche pas le réalisateur de manier avec bonheur le sens de l’ellipse- une scène de carnage à la hache nous est épargnée, on n’en distingue que les impressionnants résultats- ou bien la manière de se procurer sans violence une appétissante saucisse auprès de son voisin de table- ; et un passage malicieux pour se moquer de la maladresse catastrophique de la police coréenne dans l’utilisation des armes à feu. On notera d’ailleurs que les truands s’étripent uniquement à l’arme blanche, remplacée une fois par un os à moelle, redoutable dans les mains de Myun.

Gu-nam tout au long du film ne change pas de statut : d’abord prolétaire misérable, son parcours de truand le maintient dans le rang de paria social. Et le film montre bien le décor misérable de sa province d’origine, et le caractère populaire des mafieux du coin, opposé à la distinction de ceux de Séoul, luxueuse métropole, avec certes ses quartiers à la Dickens. On n’oubliera pas la saisissante traversée de l’aller vers Séoul, dans une Mer Jaune démontée, où Gu-Nam, tout comme les immigrés du monde entier, croupit à fonds de cale avec les autres clandestins, dans le vomi, les humeurs et parfois les cadavres.

Fondamentalement, le cinéma noir coréen est lesté d’un pessimisme et d’une noirceur également prégnants. The murderer (titre choisi pour sa distribution en France, étonnant non ?) en est une éclatante démonstration.

BD le 5/08/11

 

Jlediable-copie-1’ai rencontré le diable (I saw the devil, traduction anglaise de Akma-reul boat-da, film sud-coréen de Kim Jee –won 2010, 2h22, avec Lee Byung-hun (Soo-hyun) et Choi Min- sik (Kyung - chul)

Le diable probablement

Voici un très sérieux film gore : Soo-hyun, jeune agent secret, rassure par portable interposé, sa fiancée, coincée dans sa voiture dans l’attente d’une dépanneuse, en plein hiver et sur une route déserte. Il s’enferme dans les toilettes de son boulot pour lui chanter, mezzo voce, une romance qu’ils adorent. Ce sera, hélas, peine perdue : la belle est sauvagement agressée par un tueur en série, Kyung –chul, qui l’entraîne ensuite chez lui pour la torturer à mort d’horrible manière. Soo-hyun fragile stature à la figure d’ange, d’abord ravagé par la douleur, décide de faire lui-même justice ; grâce à ses accointances dans la police (la jeune victime est elle-même fille d’un chef de la police), il trouve rapidement Kyung, déjà fiché; découvrant des indices de sa culpabilité, il le bat méthodiquement avant de lui promettre de le faire mourir lentement et à petit feu. Lui faisant ingérer une puce électronique, il le suit à la trace et à deux reprises, intervenant avant qu’il ne termine les outrages qu’il commençait à faire subir à deux jeunes filles.
C’est donc à un curieux jeu du chat et de la souris que se livre le jeune homme, mutilant un peu plus le prédateur à chaque rencontre. Jusqu’à ce que Kyung –chul se débarrasse de la surveillance et porte le fer dans la famille même de sa première victime.

Le traitement de l’horreur est franc, massif, brutal, sans afféterie ni maniérisme ; le filmage est celui d’un polar, avec des scènes d’action particulièrement efficaces. Pas de suspens quant à l’identité du criminel : le premier plan du film nous livre son regard planté dans le nôtre. On perçoit vite que Soo-hyun, tout entier à sa vengeance, revêt les habits d’un bourreau (et la séquence finale le montre assez, par l’utilisation même d’un châtiment que l’histoire de France a longtemps célébré) ; il souhaiterait au fond avoir ce rôle à perpétuité, et c’est cela qui est troublant. La mise en danger des proches de sa fiancée est seule susceptible de l’arrêter. Sans état d’âme, mais sans fascination pour le « travail » de mort de Kyung, il charcute et malmène sans pitié ce monstre diablement insubmersible, si ce n’est increvable. Il va même jusqu’à l’enlever au nez et à la barbe de la police (décrite comme particulièrement inefficace c’est d’ailleurs une des traces d’humour dans le film que cette moquerie incessante des flics) et il y a à ce moment –là une sorte de curieuse fusion - corps et âme- entre le chasseur et sa proie.

Alors film gore ? Oui, par les sentiments d’horreur et de terreur que le film suscite. Non, car il n’y a ni complaisance, ni esthétisme dans le traitement des situations et des êtres mais plutôt une efficacité de la cruauté, comme dans un vrai film noir qu’est J’ai rencontré le diable. Il faut retenir la mise en scène particulière des jeunes beautés, ces images de jeunes filles promises à un horrible destin. Le policier arrive souvent à stopper le processus ; on appréciera le décor de la serre, scène de poursuite nocturne dans la terre et les plantes, et aussi la maison du cannibale, ami du tueur, ogre issu d’un conte oriental tout à fait réussi. Et enfin, ces têtes coupées : on pense au peintre italien Le Caravage dans le traitement des visages démembrés, plénitude d’une fascination proprement mortelle.

BD le 24 juillet 2011

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :