Témoignages recueillis à propos de JJ R, un sacré personnage, merci à Roland Sadaune pour ses portraits, aux Pictos et à Yannis Youlountas à qui nous empruntons des images aussi.
Jean-Jacques Reboux au Mans à ses débutes d'éditeur-écrivain (derrière lui Paul Maugendre) Image Yanis Youlountas
Jean-Bernard POUY nous a envoyé ce texte
Jean-Jacques a rejoint le monde quantique qu’il côtoyait depuis quelques temps. Et c’est en regardant quelques poules dans mes entourages que je pense à lui, lui qui les aimait tant. Je commence à en avoir vraiment assez d’avoir à regretter tous ces êtres qui s’en vont alors qu’ils sont pleins de rage. Surtout lorsqu’ils ont été des poètes, des amis, des collègues et des compagnons, dans ce petit monde littéraire, frileux et combattant, qui nous passionne depuis tant d’années.
Jean-Jacques avait une féroce ténacité, une telle férocité tenace que certains ont pu le considérer comme une sorte de virus. Ne trouvant pas d’éditeur pour ses propres textes, il est, contre vents et marais, devenu éditeur lui-même, pour enfin exister. Et, pris de passion, il s’est muté en condottière du polar français (Canaille, Canaille Revolver, Après la lune, etc…), créant une équipe de jeunes auteurs qui lui doivent, à leur tour, importance, existence, visibilité, qui restèrent ébahis de sa disponibilité, de sa pugnacité et profitèrent de ce tremplin, en n’oubliant pas cet énergumène qui leur a mis le pied à l’étrier. Car Jean-Jacques, même s’il eut du mal à tenir debout sur ces terrains glissants, n’a jamais arrêté d’écrire, n’a pas baissé les bras, bien au contraire, il a levé le poing. La Police, la Justice, divers ministres et Sarko s’en souviennent et ne sont pas près de l’oublier. Depuis peu, il s’étais pris de passion pour la mécanique quantique et caressait avec délices le chat de Schrödinger. C’est dire qu’il n’avait peur de rien et surtout pas de ces crabes qui se réveillent sans prévenir.
Et, surtout, nous perdons un camarade avec qui, tout simplement, nous avons bien rigolé. Lors de ces rencontres, surtout festivalières, où l’on pouvait échafauder des plans sur la comète, tout en maugréant (les ennemis restent nombreux) et en ne perdant jamais le Nord qui est un Sud. Il est parti et nous laisse démunis de l’avoir vu souffrant, de l’avoir senti ne pas être dupe, et tristes, bien sûr, inquiets d’avoir désormais à compter les jours.
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De Boris Lamot
Il y a longtemps que je ne l'avais pas vu. J'ignorais même qu'il fût malade. C'est Pascal qui m'a informé de la situation mardi. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas écrit, la dernière fois c'était en janvier 2020 pour me demander une adresse et pour râler contre la Poste à propos des envois en nombre, je vous livre ce message assez savoureux bien typique de son style :
Conseil d'un flibustier (rangé des bouquins, enfin, presque…) et ex-postier à un faiseur de revue (ou tout autre fabricant de livres ne bénéficiant pas de la CPPAP).
Le tarif LIVRES ET BROCHURES, théoriquement réservé aux envois à l'étranger [et étrangement réapparu dans les tarifs officiels de La Poste, alors qu'il en avait mystérieusement disparu ces dernières années, bien qu'existant toujours) fonctionne très bien à l'intérieur de l'Hexagone, en piratant le système de merde imposé par la Poste. J'en fais l'expérience depuis quelques années en envoyant les commandes de la librairie en ligne après la lune, et l'an passé j'ai envoyé plus de 100 Bénuchot à ce tarif sans que personne ne se soit jamais plaint de surtaxes à l'arrivée !
Il suffit par conséquent : – d'écrire lisiblement LIVRES ET BROCHURES sur l'enveloppe – de rayer la mention LETTRE VERTE de l'étiquette préalablement achetée sur l'automate (ceux-ci ne délivrant plus d'étiquettes avec montant libre sans cette mention) – d'éviter soigneusement les guichets des bureaux de poste pour déposer ses envois (certains guichetiers "vieux de la vieille", à qui répugne ce qu'est devenu la Poste, à savoir une entreprise de m…, les acceptent sans barguigner : ce n'est pas forcément le cas des stagiaires, intérimaires, valétudinaires du ciboulot, etc., recrutés par la Maison depuis une quinzaine d'années. – de glisser tes enveloppes dans une BOÎTE À LETTRES, discrètement. Pour les envois plus épais, un bac gris fera l'affaire.
Je profite de l'occasion pour vous narrer une anecdote datant de 2010, année où les bureaux de poste ont commencé à ressembler à des bunkers anxiogènes pour usagers sous respirateur artificiel. Une jeune guichetière de Denfert-Rochereau, refusant que je dépose dans son bac gris, qu'elle surveillait comme une malade, une cinquantaine de livres (mon pavé sur Sarkozy), au motif qu'ils dépassaient les 3 cm d'épaisseur (à la Poste, on ne pèse plus, on MESURE), goûtant peu l'humour involontaire de mon ”Vous avez diminué la taille de votre fente, je ne peux plus y glisser mes courriers !" et me rétorquant, après que j'eus manifesté mon courroux devant la cherté des envois : ”Ne vous plaignez pas, monsieur, nous sommes la moins chère des postes !” [Authentique] J'eus beau expliquer à cette créature quelque peu dépourvue de matière grise qu'il n'y avait, à ma connaissance, qu'une seule Poste (ce n'est plus tout à fait le cas, en tout cas pour les colis) : LA Poste, elle n'en démordit pas (et était prête à me mordre). Je fus sauvé de l'outrage par l'arrivée d'un guichetier proche de la retraite, "normal", et avec qui j'avais (ce n'est plus possible dans les nouveaux bureaux de poste) des conversations amicales, qui prit mes 50 enveloppes. Voilà.
Cette méthode, que nous appellerons la méthode "Simone Dubois" (les initiés comprendront) n'est pas très réglementaire, mais je pense que les éditeurs, au lieu (ou en plus) de gueuler (légitimement) sur les mesures coercitives et anticulturelles de la Poste, ne devraient pas négliger ce genre de méthode de "résistance", assez efficace. Gripper les engrenages, pirater le système imposé par des petits merdeux sortis d'écoles de commerce, il n'y a que ça de vrai ! Et ça marche ! Le seul risque étant de tomber sur un facteur un peu zélé qui surtaxera (comme cela arriva jadis à Hervé Jaouen…) mais c'est très rare.
Bonne journée et bons z'envois ! JJ Reboux, ex-324
De : corinne naidet
Bonsoir,
c'est avec beaucoup, infiniment, de tristesse que j'apprends la disparition de Jean Jacques Reboux... je l'avais découvert avec "Poste mortem", titre prémonitoire en ce 14 juillet... 1998, la noir rôde faisait ses débuts ou presque. Et nous avons été, entre autre, accueilli par ce sourire désabusé, toujours enthousiaste, et il avait suffi d'une " cambuse du noir " à Valence pour sympathiser.
Sa gentillesse était à l'aune de ses emportements, aimant autant qu'il détestait !
Et son acharnement à créer, monter des maisons d'éditions ne peuvent que susciter respect et, en toute sincérité admiration : ce fut l'un des plus sincères de tous, ne cédant jamais sur rien, allant jusqu'au bout de ses convictions, en cela je l'admirais beaucoup… J'avoue quelques agaceries, ne soyons pas hagiographe, il m'en voudrait... tranchant, absolutiste, tout autant pour ses enthousiasmes littéraires que pour ses ires politiques....
Jean Jacques, tu vas me manquer, nous manquer, et comme d'habitude, il est trop dommage que je n'ai pris le temps de te dire mon affection.
Il reste l'affliction .
P. de faucheuse, quelle garce !
mais grâce aux livres, Après la lune, la maîtresse sera toujours en maillot de bains!!!
mes très tendres hommages
Corinne
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De : Jean-Paul Pérez
Tristesse
Je me souviens de Fondu au noir un de ses premiers romans ….
Clap de fin ….
JPPerez
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Dessin de Roland Sadaune (Montigny)
De : Thomas Bauduret
Partie des quelques financiers du lancement d'Après la lune (qui publia le génial "industrielle romance" de Fétis, entre autres). Tristesse…
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De Jean-Paul Guéry (La TeN)
Bonsoir Boris,
Quelle triste nouvelle que le décès du Jean-Jacques. La dernière fois que je l’ai vu c’était à Angers où il avait participé à une table ronde sur les petits éditeurs et leur place dans le monde des livres. Jean-Jacquesétait tout désigné pour parler du monde impitoyable de l’édition et son témoignage était très attendu. Il avait su trouver les mots pour dire le bonheur de « découvrir » un auteur, de porter un livre vers le succès. Mais il avait aussi évoqué le poids de l’argent, le prix de la trahison et les mille souffrances quotidiennes.
Je retiendrai son extraordinaire dynamisme, son optimisme, sa gentillesse et son opiniâtreté à défendre les causes qui lui semblaient justes.
Jean-Paul Guéry / La Tête en Noir
ImaJn'ère Angers 2014
Yannis Youlountas (texte diffusé sur Facebook, je lui emprunte aussi quelques images)
C'est l'hécatombe en ce moment ! Et que des gens biens ! Hep, là-haut ! Vous pourriez pas nous débarrasser de Zemmour, Macron, Lallement ou Le Pen et lâcher un peu la grappe à nos copains ?
JEAN-JACQUES REBOUX, L'ANAR QUI AIMAIT LES POULES, MAIS PAS LES POULETS (1958-2021)
J'ai connu Jean Jacques Reboux il y a 20 ans. À l'époque, on était tous les deux invités dans les mêmes salons du livre, en particulier celui de Gaillac, ville du pinard dans le Tarn. On passait au moins deux ou trois jours ensemble chaque année. On allait grailler chez Pascal Dugommier-Polisset avec les anarchistes et gauchistes les moins fréquentables du salon. On buvait des coups avec Michel Grossin, notre libraire local qui était comme un frère pour nous. On discutait, on signait, on chantait, on allait pisser exprès à l'heure où passait les politiciens pour nous serrer la pogne. On vendait bien, vu que le public local commençait à bien nous connaitre et qu'on était de "bons gars" (sauf de l'avis des notables). Et puis on repartait à la fin du salon avec un carton de bouteilles chacun, à l'effigie de l'affiche de l'année. Je crois que c'était début octobre, après les vendanges.
Dans notre bande, il y avait aussi l'inénarrable Jean-Bernard Pouy et d'autres auteurs de polar, mais aussi des visiteurs du même tonneau au gré de leurs sorties de bouquins, comme Magyd Cherfi des Zebda (cf. photo du salon 2008, je crois).
Image Yannis Youlountas
On se moquait des auteurs qui mettaient leur cul sur la table pour vendre : ils haranguaient le chaland ou parlaient très fort, comme, une année, le frère de Galabru qui, ayant la même voix que l'acteur célèbre, s'en servait pour fourguer ses gribouillis aux passants venus là un peu par hasard ("c'est quoi que vous vendez là ? des cartes postales ?").
Heureusement qu'on était entre copains, parce que les salons du livre, ça ressemble souvent à IKEA : le public tourne en rond dans un labyrinthe et nous, les auteurs, on joue un peu le rôle des meubles en exposition ! De temps à autre, il y avait aussi des débats, souvent animés par Pascal ou Jean-Jacques. Perso, je m'y collais aussi sur mes sujets préférés : l'amour et la révolution (ben oui, je suis un peu obsessionnel).
Dans les années 2010, j'ai cessé brutalement d'être invité du Salon du Livre de Gaillac. Les cordons de la bourse était tenus par le Président du Conseil Général du Tarn et ce dernier m'avait vraiment dans le nez à cause de ma participation à des actions contre lui, surtout à l'époque de la résistance contre le barrage de Sivens sur la ZAD du Testet. Je lui avais notamment dédié une chanson reprise dans les manifs : "Monsieur le président du Conseil Général" (chantée ici par l'ami Guillaume Barraband : https://www.youtube.com/watch?v=PbCVXYuv_M4 ) sur l'air du déserteur de Boris Vian. Et puis, je refusais publiquement de lui serrer sa pogne. Bref, c'était trop : liste noire, Youlountas ! Finies les retrouvailles annuelles avec Jean-Jacques et les autres !
Jean-Jacques était un bon vivant, gai, souriant, vaillant, insoumis, rieur, attaché plus que tout à sa liberté et, plus largement, à la nôtre. En particulier la liberté de se moquer des puissants, des flics, des chefs, des présidents et autres affreux jojos. Il avait fondé le Collectif pour une dépénalisation du délit d'outrage (Codedo) et écrit plusieurs bouquins sur le sujet : "Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des libertés policières" (2006), puis "Lettre au garde des sceaux pour la dépénalisation du délit d'outrage" (2008, avec Romain Dunand). Jean-Jacques était surtout un poète et un auteur de polars, notamment plusieurs "poulpes", et de "L'esprit Bénuchot", une belle histoire comme il aimait nous en raconter.
Il y a deux ans, il m'avait recontacté pour venir avec nous en convoi solidaire en Grèce, action qu'il soutenait, alors qu'il était complètement fauché. Car Jean-Jacques, c'était ça aussi : un humain altruiste et généreux, sans tambour ni trompette, sans cravate ni paillettes, un type chouette, un vrai de vrai, qui, parmi de nombreux actes forts dans sa vie, a hébergé des sans papiers et a lutté inlassablement contre l'injustice.
Jean-Jacques se disait anar. Je pense qu'il l'était, même si aucun anar ne parvient réellement à incarner cette idéologie exigeante qui prône le refus absolu de toute autorité et qui se décline dans plein de domaines. Dans une société comme la nôtre, où foisonnent serrures et clés, fric et portefeuilles, urnes et bulletins de vote, flics et automobilistes, patrons et salariés, difficile de suivre en tous temps et en tous lieux la ligne pure qui serait de tout envoyer balader pour vivre enfin libre : débarrassé de ces turpitudes du vieux monde qui nous pèsent tellement !
Finalement, Jean-Jacques ne viendra jamais avec nous en Grèce. Alors qu'on attendait la fin de la pandémie pour en reparler, il est tombé malade. Le 27 juin dernier, son tout dernier message concernait sa chimio alors qu'il essayait de sauver son foie et tout le reste avec.
Finalement, en bon anar qui se respecte, dans la lignée du vieux Léo, Jean-Jacques est mort un 14 juillet. Lui qui détestait les défilés militaires et les parades présidentielles, il leur aura tourné le dos une bonne fois pour toutes ! Un dernier acte de désobéissance pour notre ami disparu à l'âge de 62 ans.
Comme beaucoup d'écrivains, Jean-Jacques adorait les chats, mais il avait aussi une passion moins courante pour les poules ! Par contre, il détestait les poulets
Si vous n'avez pas eu la chance de connaître Jean-Jacques Reboux, lisez-le ! C'est tout ce qui nous reste de lui, avec les souvenirs et son envie contagieuse de dire m... à tous ceux qui veulent nous faire plier ! Avec toi, Jean-Jacques, à jamais contre les chefs et leurs valets en uniformes !
Parfois, la distribution d'un livre n'est pas à la hauteur des attentes de l'écrivain. C'est l'histoire qu'a vécue Jean-Jacques Reboux avec son livre "L'Esprit Bénuchot". Pour célébrer sa ré...