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Publié par blog813

Hommage à Michel Steiner (1946-2021)
Reçu par l'onglet contact du blog ce message venu d'outre Atlantique :

Bonjour, j'ai écrit un article sur l'écrivain de polar Michel Steiner (1946-2021) que j'aimerais proposer pour la revue. Me permettrez-vous de vous l'envoyer?
Merci d'avance,
Très cordialement,
Susanna Lee, Professor and Chair Departement of French and Fancophone Studies, Georgetown University

Mise en relation avec le comité de rédaction de la revue, elle a pu se rendre compte de la difficulté de faire paraître un article un peu long dans 813. Une conversation s'est engagée avec Jeanne Guyon qui lui a proposé de concevoir une version plus courte et de l'envoyer au blog pour diffusion. Dont acte, voici son article.

Cet article rend hommage à un écrivain de polar que j’ai eu le très grand plaisir de connaître. Michel Steiner (1946-2021) est l’auteur de plusieurs polars et romans noirs, ainsi que de textes d’autres genres, bien accueillis par la critique. Mainmorte a été publié en 1998 par les Éditions Baleine ; Petites morts dans un hôpital psychiatrique de campagne (Éditions Baleine, 1999) ; Rachel, la dame de carreau (Mango, 2000), suivi par Les Jouets (Gallimard, 2001) et La Machine à jouir (Gallimard, 2003). Steiner a ensuite publié Le Kol Nidré : Étude psychanalytique d'une prière juive (Hors commerce, 2007), et Freud et l'humour juif (Éditions In Press, 2012). Enfin, Le Joueur et sa passion : études psychanalytiques et littéraires est sorti aux Éditions Velvet, 2019. Steiner était également psychanalyste et joueur de poker, comme ses personnages.

Hommage à Michel Steiner (1946-2021)
Hommage à Michel Steiner (1946-2021)

 

       

 

Steiner est né à Toulouse. Ses parents avaient été dans la Résistance ; leur famille à eux était perdue. Il a rencontré sa femme, Annie, au lycée : ils avaient deux filles. Steiner a fait deux ans de médecine à l’université. Pourtant, en mai 1968, il a participé à des manifestations et a été amené à renoncer aux études de médecine. En parallèle, il a débuté ses études de psychologie en cours du soir. Comme boulot alimentaire, il a travaillé comme visiteur médical, tout comme Lepgorin dans Petites morts. En même temps, très jeune, Steiner a pris goût au jeu, et s’est mis à jouer aux échecs. Il passait ses soirées dans les cercles parisiens, où pendant les années 1990 il s’est professionnalisé dans le jeu. C’était aussi vers cette époque qu’il a commencé à publier.

Le personnage dans lequel Steiner s’incarne dans son premier roman est un joueur de poker d’abord, psychanalyste ensuite, qui « pratique » dans les cercles de jeu mais n’a pas de cabinet, et pas vraiment de patients non plus. Dans son deuxième roman, il est psychanalyste d’abord. La vie réelle de Steiner a ensuite suivi ce même trajet, car à la fin de ses années de jeu professionnel, vers 2001, Steiner s’est établi sérieusement comme psychanalyste. Il semble que le fait d’avoir conduit ces premières analyses -celles de ses personnages principaux, ces analysants qu’il a lui-même fabriqués- a ouvert les portes au développement d’une pratique réelle. Un ami médecin généraliste lui adressait des patients, et Steiner s’appuyait en même temps sur sa réputation d’auteur, car quelques patients le recherchaient après avoir lu ses livres.

Ce qui frappe surtout dans les polars de Michel Steiner, c’est le côté baroque, même flamboyant, de la violence qu’il dépeint.

Son premier livre, Mainmorte, suit les meurtres et les mutilations en série d’huissiers. Dans son deuxième livre, Petites morts, c’est aux psychiatres qu’il fait subir de terribles supplices. On ne peut nier une certaine créativité extra-judiciaire, un monstrueux service public de la part des criminels. Mais en même temps, dans ces deux romans, la destruction des corps humains s’accomplit de façon tellement extravagante, les couleurs et les fluides si nombreux, les visages des spectateurs si horrifiés, qu’on ne peut que constater la folie de l’auteur de ses actes. Les enquêteurs le répètent à plusieurs reprises.  « Psychanalyste ou psychiatre, ou psychologue, comme vous voulez…. mais fou ! » (p. 78) déclare le flic dans Mainmorte. Ce à quoi Krems répond : « Il est bel et bien dans la folie, mais s’il était ici, à ma place, s’il vous parlait en ce moment, vous ne le trouveriez pas plus fou que moi ! »

Après Petites morts, il écrit Rachel : la dame de carreau. Le narrateur, Franck Wheil, affiche un goût sexuel pour les femmes très âgées. Il fait l’amour à une femme hirsute, où les détails des poils et des odeurs ne sont point épargnés. Il visite une boîte à partouzes dans une scène impressionnante par sa longueur. C’est dans ce livre que Steiner réfléchit sur l’écriture. « Voyez la boîte à partouzes de Tony, les perversions, bref, les petites et les grosses folies… Eh bien, le plus pénible est d’en parler ! » (RDC, p. 177). Écrire un polar permet « d’en parler » tout en gardant une distance, un déni plausible, et tout en agissant comme son propre analyste compréhensif.

Ce qui est franchement impressionnant chez Steiner, c’est qu’il a mis tant de lui-même dans ses romans qu’aucun déni ne reste plausible. Non seulement il nous rappelle à tous moments la répulsion et la folie des passages à l’acte, mais le rôle de son « moi » dans ces passages fait partie de l’intrigue même du livre. Le flic, Wurtz, le surmoi par excellence, lui dit : « Non pas que je pense que vous êtes détraqué, non ! En vérité, je vous trouve d’une monstrueuse candeur, d’une naïveté émouvante, vous êtes authentique ! » (RDC, p. 180) Cette authenticité, cette monstrueuse candeur, cette naïveté émouvante, émanaient dans le quotidien réel de Steiner ; c’étaient ses plus belles qualités.

 

Susanna Lee

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