Le coup de ♥ du facteur - Les Cow-boys
Je ne sais si vous êtes comme moi, j’ai toujours aimé le feuilleton.
Baigné dans mon enfance par les magazines de BD, j’attendais, semaine après semaine, la suite des aventures de mes héros préférés. Bien entendu la dernière case, en bas à droite montrait un personnage, les yeux écarquillés, la tête cernée d’immenses points d’exclamation et d’interrogation. J’en lisais aussi dans le journal télé de ma grand-mère. Principe pas neuf puisque déjà à l’œuvre au 19e chez Dumas, Verne, Ponson du Terrail,... et même Maupassant, Zola qui publiaient un peu chaque jour de leurs romans fleuves dans les quotidiens. J’ai suivi avec intérêt la publication mensuelle de la Ligne verte de Stephen King chez Librio.
C’est donc un plaisir renouvelé pour la troisième année que le rendez-vous hebdomadaire (bimensuel en 2014) avec les Petits polars du Monde/SNCF. La nouvelle, on aime mais on en lit peu, c’est ce qui ressort des discussions ou débats consacrés au genre dans les salons ou festivals. Ces Petits polars, largement diffusés, sont donc une occasion de renouer avec le plaisir du récit court, construit à l’économie et souvent surprenant, inattendu. Mon coup de cœur revient à Marcus Malte pour le n° 7 : Les Cow-boys.
Le shérif Daniel Bundred était « bien calé au fond de [s]on fauteuil, les pieds glissés dans le tiroir de [s]on bureau. [Il] tenai[t] un Marvel ouvert sur les cuisses : Daredevil. [S]on préféré. » quand le téléphone s’est mis à sonner, et re sonner. C’est un événement dans cette bourgade rurale du Mississippi, où il ne se passe rien : on a vu un type en ville balader un lézard de UN MÈTRE qui, au fil des appels ne va pas tarder à atteindre les 3 mètres. Marty, le seul adjoint présent ce jour-là, notre tout dans son cahier ; un homme de confiance mais qu’on n’enverrait sur le terrain pour rien au monde...
C’est un peu dans un univers à la Jim Thompson, le cynisme en moins, que nous installe Marcus Malte, avec beaucoup plus de fantaisie : lézard géant tenu en laisse, relations contre nature avec un lama, aveugle s’entraînant au tir au fusil. Mais peu à peu, le malaise s’installe et la pochade tourne à la tragédie.
Marcus Malte construit son récit de main de maître à deux voix : la narration tenue par le shérif et l’écrit des cahiers de Marty. Surgissent les cicatrices profondes du sud dont le Klu Klux Klan est une des faces encore vivantes. En peu de pages, par le seul témoignage du shérif, on cerne les caractères, l’ambiance. On sourit de la nonchalance du narrateur puis le rythme s’accélère. N’en disons pas plus, pour le prix, inutile de se priver.
Et puis, il y a l’illustrateur. Cette année, même, certains de PpdM/SNCF, sont des BD à part entière. Là, c’est Juillard, dessinateur que je suis depuis Masquerouge et les 7 vies de l’épervier et dont j’ai toujours aimé la précision et le graphisme. Pour ce n° 7, on est plus proche du Cahier bleu : un trait délicat, un crayonné subtil ; un régal de douceur dans cet univers aux angles coupants.
L’ensemble est une totale réussite.
Boris Lamot
Illustration : Le monde.fr