Marie Vindy a vu "Laissez bronzer les cadavres"
Le 17 octobre 2017, encore en salle…
Sorti en 1971 à la Série Noire, ce roman co-signé par Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid inaugure ce que Manchette nommera le néo-polar. Inutile, ici, de refaire la bio et biblio de Manchette, ce serait là mal connaitre la culture polar des lecteurs de 813, mais notons tout de même que par ce roman, l’auteur ou probablement les auteurs, cherchaient déjà à se rapprocher d’une écriture scénaristique, Jean-Pierre Bastid étant par ailleurs lui-même scénariste (co-écriture du très polémique Dupont la joie, en 1975 notamment), tout comme Manchette qui a collaboré à de nombreux projets cinématographiques, dont l’adaptation de son propre roman Nada, en 1973, par Claude Chabrol.
1971-2017, quarante-six ans après sa première publication, ce roman qui mêle western et roman noir tendance gangster, est de nouveau adapté par le duo détonnant Hélène Cattet et Bruno Forzani. Amoureux du genre, des genres, western spaghetti et cinéma italien de années 70, classique horreur et séries Z, patraque. Il y a du Tarantino, par ailleurs admirateur attentif de ces deux-là, là dedans. Mais différemment.
Western halluciné, le film reprend l’histoire : celle d’un trio de bandits qui se cachent dans un hameau abandonné après le braquage de 250 kilos de lingots d’or. Hameau abandonné, pas tout à fait, puisque le village en ruine est occupé pour l’été par une artiste - que les auteurs appellent « peintresse » - je noterais donc au passage la féminisation toute naturelle du mot, et dans le contexte, le terme ne me parait pas disqualifiant - son amant avocat et un écrivain alcoolique. L’arrivée de la femme de l’écrivain et son enfant, enlevé à son père, de la jeune « nurse » - on dira baby-sitter, plus moderne - suivie de deux gendarmes à la recherche du petit garçon, viendra mettre fin à la langueur estivale, à l’ennui trompé par l’alcool et quelques érotiques happenings initiés par l’artiste.
Et très vite… ça dégomme. Le principe étant, qui restera vivant dans cette bouillabaisse de défouraillage à tout va?
Du sang, beaucoup, des armes, des alliances et des trahisons, des corps nus et de la viande. On pourrait écrire : la comparaison s’arrête là. Mais ce n’est pas notre avis.
Oui, le film a des allures de long clip halluciné, une nostalgie cinéphile où le son prend une place prépondérante. Un son par ailleurs étonnant, excessif autant que jouissif qui - nous dira le producteur François Cognard - précède dans son choix les images.
Sécheresse du style, à l’écrit, contre un fabuleux débordement d’énergie, de plans et références tirés au cordeau, d’idées aussi foutraques - en apparence - que jubilatoires. Pour faire plus simple sans dévoiler les secrets de cet ovni psychédélique - et c’est déjà trop en dire - : on en prend plein la vue et les oreilles.
Ce film, pourtant et malgré l’apparent grand-écart, pourrait s’apparenter à une vision augmentée du récit de Manchette et Bastid. Et en terme de vision, la première, magnifique, est incontestablement le visage de l’actrice Elina Löwensohn, qui joue la peintresse Luce, alors que dans les premiers plans, comme dans la première scène du roman, Luce et le bandit Gros, tirent à la carabine sur une peinture, sur la terrasse d’une des maisons en ruine. Le soleil déjà haut, les ruines et la poussière, et cette femme le fusil à l’épaule braqué sur les couleurs de sa toile : Niki !
Niki de Saint-Phalle, et ses contemporains les Nouveaux Réalistes sont là, parties prenantes, piliers d’un rêve en clair et en obscur, aussi noir que lumineux, et développé dans les flash back où l’on revit assurément ceux d’un Yves Klein ou d’un Tinguely.
Les puristes, amoureux de Manchette, y verront peut-être autre chose, à eux de juger. La projection, pourtant, ne laissera personne indifférent, et à coup sûr une belle mémoire esthétique d’une heure trente passée dans la tête de deux jeunes réalisateurs farouchement dingues. Alléchant, non ?
Marie Vindy