Le coup de ♥ de Pierre S.
Mon coup de cœur du premier jour de l'équinoxe de printemps!
Elsa Marpeau, Son autre mort, Gallimard (Série Noire), 275 pages, 20 euros
1er août 2018 – 1 er octobre 2018
Alex, 40 ans, mère de deux filles, Agathe et Thaïs, femme effacée, atteinte de phobie sociale, tient une maison d’hôtes à Petit-Mars, en pays nantais.
Antoine, son mari, professeur de physique-chimie au Lycée Georges Clemenceau de Nantes, salaire unique de la famille, sert d’intermédiaire entre le monde extérieur et Alex.
Charles Berrier, le nouvel hôte, un homme colossal et hirsute, qui arrive au domaine des Bruyères pour y prendre pension, a eu le prix Goncourt pour son quatrième roman.
Alex connaît dans ses moindres détails l’œuvre littéraire de cet auteur populaire et très en cour qui a choisi ce lieu campagnard, discret et éloigné de Paris pour y rédiger son nouvel opus. Elle-même écrit des nouvelles dans la plus grande discrétion. L’un de ses personnages n’est autre que Xavier Dupont de Ligonnès, auteur de « la tuerie de Nantes », quintuple meurtre familial toujours non élucidé.
Le soir de son quarantième anniversaire, après avoir bu quelques verres, Alex est violée par Charles Berrier près de l’étang de la propriété. Elle se défend, le tue puis l’enterre sous un tas de fumier.
Dès lors, elle n’a plus qu’une obsession pour écarter les soupçons : continuer à faire vivre Charles Berrier.
« Elle devait lui écrire une autre histoire. Et créer à sa mort un scénario alternatif »
Elsa Marpeau écrit avec justesse, avec finesse, avec intelligence et souvent avec humour sans jamais étouffer la narration. Après L'Expatriée, Et ils oublieront la colère et Les Corps brisés, l’autrice continue, dans Son autre mort, à explorer les tréfonds de l’âme humaine et à analyser les ressorts des rapports sociaux dans un univers transformé par les nouvelles technologies.
A travers ce roman, Elsa Marpeau se livre à une belle et intéressante réflexion sur le métier d’auteur, son statut, sa légitimité et sur la création littéraire. Elle embarque le lecteur dans sa quête en deux temps, trois mouvements et lui propose de suivre ce road-movie intérieur, toujours situé entre réel et imaginaire.
La femme est toujours l’axe central de son travail. La question de son intégrité et de l’appropriation de son corps y sont évoquées sans complaisance : peut-on renaître après un viol ?
Tant d’autres thèmes sont abordés : disparition, métamorphose et identité virtuelle, manipulation et violence sur les réseaux sociaux … Comment changer de vie en empruntant les habits d’un autre, fût-il son double maléfique, tout en restant soi-même ?
Pierre Séguélas