Françoise a beaucoup aimé
« Même morts, les garçons étaient un problème ».
Il y a des romans comme ça. Pas forcément parfaits -et d’ailleurs, ça veut dire quoi « parfait » ? - mais qui vous hantent bien après le mot fin. Un roman qui a déjà fait l’objet d’une note de ton blog préféré (merci Jeanne Desaubry), mais dont tu ressens un besoin très fort de parler quand même, tellement il t’a marquée.
Pourtant, autant le dire, j’ai eu du mal à entrer dedans. Ce qu’en dit Arnaud Viviant n’est pas complètement faux : le style est froid, du moins dans la première partie, pour une histoire qui ne l’est pas. https://www.franceinter.fr/livres/nickel-boys-de-colson-whitehead-qu-en-pensent-les-critiques-du-masque-la-plume
Peut-être était-ce intentionnel de la part de Colson Whitehead pour maintenir une certaine distance et rendre ainsi son histoire supportable. Et il est vrai que l’emploi du plus-que-parfait aplatit l’histoire et certains personnages, et alourdit un peu l’écriture. J’ai failli lâcher, mais je me suis accrochée et j’ai bien fait.
Accrochée déjà, c’est bien le mot, par la toute première phrase : « Même morts, les garçons étaient un problème ». Accrochée parce qu’on sait qu’il s’agit d’une histoire vraie qui commence par la découverte d’un charnier. Au prisme de la fiction l’auteur va nous faire découvrir le quotidien de cette maison de redressement pour « garçons à problèmes », en réalité un centre de tortures pour ados où va se retrouver, dans les années 60, le jeune Elwood, victime d’une terrible erreur judiciaire. Et c’est à travers l’histoire de ce dernier que nous allons vivre le calvaire des Noirs aux USA dans ces années-là.
Pourtant Elwood avait tout mis en œuvre pour sortir de sa condition d’enfant noir abandonné par ses parents et élevé par sa grand-mère : soif d’apprendre, confiant dans le progrès et même dans l’amour dont parle son héros, le pasteur Martin Luther King. Elwood va faire des études c’est sûr, et il pourra militer pour les siens, sans violence. Il est doué, consciencieux, travailleur, profondément honnête, même les Blancs l’aiment bien, c’est dire ! Et pourtant, il va être arrêté, accusé d’un vol de voiture et envoyé dans le sinistre pensionnat dénommé « Nickel » (en réalité la Dozier School dont les activités ne seront découvertes qu’il y a 10 ans). Mais Elwood essaie toujours de voir ce qu’il va pouvoir tirer de positif d’une situation : ainsi va-t-il pouvoir continuer à s’instruire puisqu’il y a des cours.
Hélas, tout comme les pages de son encyclopédie étaient vides, il n’y apprendra rien. Il se rendra vite compte que les livres scolaires des élèves noirs ne sont que les rebuts de ceux des Blancs, parsemés d’injures racistes écrites par ces derniers. Alors il se dit qu’il va être exemplaire et ainsi pouvoir sortir le plus vite possible de ce qui n’est qu’une prison, et des plus impitoyables. Mais violences, tortures, terreur, rien ne lui sera épargné. Malgré tout, il y a une lueur : son ami Turner, celui qui se propose de faire passer la lettre qu’il a écrite à l’intention des inspecteurs fédéraux qui viennent visiter l’institut.
Turner et Elwood vont s’enfuir de ce lieu cauchemardesque même s’ils savent qu’ils risquent leur vie. Que vont-ils devenir ?
Colson Whitehead n’a appris l’histoire du pensionnat de Dozier qu’en 2014. Il nous en offre un roman qui lui a valu son 2ème prix Pulitzer mais surtout qui résonne encore en nous bien après l’avoir refermé.
Play list : John Coltrane « Alabama », extrait de l’album « Live at Birdland », 1964.
Nickel Boys, Colson Whitehead, traduit par Charles Decoursé. Albin Michel, 2020.