Deux maîtres ès récit
Commençons par Dominique Sylvain que l’on ne retrouve jamais où on l’attend. Après un thriller en 2021 (Mousson froide, Robert Laffont), genre auquel elle ne s’était jamais attelée et pari réussi, la voilà qui revient en 2023 avec Panique en Armorique, toujours chez Robert Laffont. Elle reprend ses deux personnages phares Ingrid Diesel et Lola Jost.
Ingrid, la jeune et blonde franco-américaine. Sans peur, une liane, stripteaseuse et maîtresse en arts martiaux. Une maîtrise très approximative de la langue française. Lola, la commissaire de police retraitée ne manque jamais de la reprendre. Amatrice de bonne bouffe et de puzzles quand elle s’ennuie, grosse, grognon, toujours prête à mener l’enquête. En 2018, pour notre numéro 131 (‘’Nos 100 personnages préférés de la littérature policière’’) j’avais été heureux de faire une notice sur ces deux personnages et je dois dire que j’étais impatient de les retrouver, sans qu’elles aient pris une ride.
L’intrigue au départ est simple : nos deux héroïnes partent en side-car pour la Bretagne où Ingrid souhaite rénover la maisonnette qu’elle reçue en héritage. Dans le village, un groupe d’activiste écologistes vient de détruire par le feu un élevage industriel de poulets. Puis on retrouvera le PDG de Poulets dorés, pendu par les pieds et grillé comme ses poulets. Début d’une série de morts non accidentelles. Évidemment, face à un séduisant mais bourru capitaine chargé officiellement de l’enquête, le duo ne peut se retenir de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Nous n’irons pas plus loin...
Ce qui a retenu mon attention, c’est la vivacité du récit enchaînant les passages où l’on sourit et des passages d’une rare violence, le tout savamment dosé. Et le récit est savamment construit, rien n’est laissé au hasard. Dominique Sylvain rédige un plan détaillé de ses récits avant d’entamer l’écriture. Et ça fonctionne, on est entraîné dans la sarabande où les morts vont s’accumuler, où certains activistes pacifistes vont se révéler capables des pires horreurs, où la corruption règne en maîtresse. En même temps, comme elle l’avait déjà fait en menant les deux filles vers l’Afrique avec Guerre sale et Ombre et soleil, elle égratigne ici, en passant, la malbouffe -y compris l’idée de steaks totalement sans viande de bœuf-, les algues vertes, l’écologie en panne et l’activisme à tout prix. Bref, pas que de l’action. La violence a toujours une utilité ce qui n’est pas toujours le cas dans le polar actuel. Bref, du grand art.
Mon deuxième coup de cœur va à Pierre Pouchairet, lauréat du prix Quai des orfèvres 2017, que j’avais peu lu (un de ses romans publiés chez Jigal), croisé ici ou là, sur des festivals sans que l’on ait l’occasion d’échanger. Pourquoi me suis-je acheté son dernier roman publié en septembre 2022, L’Or vert du Sangha, chez Alibi ? Sans doute une bonne critique lue quelque part, sans doute celle de Pierre Faverolle.
L’intrigue est ici aussi plutôt complexe.
Au Sangha, pays fictif, côtier faisant partie de la Françafrique, possédant une richesse forestière, le président, Honoré-Martin Atangana en place depuis 30 ans brigue son sixième mandat et se représente aux élections démocratique. Face à lui, un enfant du pays, Otsiémi, footballeur professionnel qui a aussi tâté du cinéma. Ce candidat paraît plus redoutable qu’habituellement : il plait aux jeunes qui constituent la majorité de l’électorat. Claire Dorval journaliste vient couvrir pour son journal cette élection et va essayer d’en interviewer les principaux acteurs. Son patron lui demande, parallèlement d’enquêter sur la mort d’un confrère, Jean-Pierre Mounier , spécialiste du développement durable, mort alors qu’il enquêtait sur la déforestation irrégulière de l’énorme ressource forestière du pays. La version officielle serait qu’il a été entraîné par une prostituée et tué par un chef de village à qui il aurait manqué de respect. Sauf qu’il est exclusivement homosexuel... Ajoutons à cela des Chinois, des mafieux corses et italiens, des coupes et l’exploitation sauvage de bois précieux, le kevazingo, dont l'exportation est officiellement interdite dont les troncs servent aussi à transporter de la drogue. On sait que la Françafrique est le lieu de toutes les magouilles et de tous les scandales. On les voit ici à l’œuvre, sans espoir d’un quelconque avenir. En même temps on découvre la vie tribale et l’organisation d’une chefferie. Un pur polar politique.
N'allons pas plus loin, ici encore le roman est admirablement construit. On est happé par l’intrigue et ses multiples rebondissements, on a de l’empathie pour les personnages principaux, Claire la Parisienne qui découvre l’Afrique, le commissaire Kuate aux costumes impeccables et très colorés, le chic africain. Il se montre persévérant jusqu’à l’opiniâtreté au point de se mettre danger, lui et son proche entourage. Bien sûr, en Afrique rien ne peut s’achever de façon logique. Ne cherchez pas, laissez-vous entraîner.
Bref, deux romans très différents montrant une parfaite maîtrise. Bravo !
Boris le Facteur