Un pas de plus vers l'abyme
Le bandeau du livre y va fort : « Luc Chomarat est un génie » Transfuge
Replaçons cette citation dans son contexte, le texte exact à propos du roman L’invention du cinéma est le suivant. « N’y allons pas par quatre chemins : Luc Chomarat est un génie. Si si. Croyez-moi, je n'use jamais à la légère de gros mots comme « génie » ou « chef-d'œuvre ». Mais justement, son livre est un chef-d’œuvre. Et toc, trois lignes, deux gros mots ! Vous ne connaissez pas Luc Chomarat ? Moi non plus. »
Essayons de voir en quoi Luc Chomarat avec Le Livre de la rentrée, sortant justement le 24 août à La Manufacture de livres serait si extraordinaire.
Nous retrouvons ici l’éditeur Paul Delafeuille (ou Henri, on ne sait pas bien) Nous l’avons déjà croisé dans l’Espion qui venait du livre (Rivages Noir 2014) et Le Dernier thriller norvégien (La Manufacture 2019). Eugénie, la nouvelle directrice commerciale des éditions Mirage, vu le piètre résultat de cette rentrée (aucun roman Mirage placé dans les cinq premiers sélectionnés), le somme de trouver la perle rare pour la rentrée suivante. Bref, à lui de trouver le LIVRE DE LA RENTRÉE prochaine, sinon...
La seule piste qu’il explore est un dénommé Ben, neveu de Madeleine Murnau (influente dans la boîte) qui a écrit un roman dont voici le pitch :
« Voilà, c’est quelqu’un qui est amoureux de quelqu’un d’autre et qui lui envoie des SMS. Et l’autre, il répond par des SMS. En fait, c’est que des SMS tout le bouquin jusqu’à la fin [...] Et un vrai langage d’aujourd’hui. La forme c’est vachement important. C’est vachement moteur. J’ai viré toute la ponctuation, parce que c’est artificiel. C’est vrai, personne ne dit virgule ; Vous dites virgule, vous quand vous parlez ? » Bien sûr l’orthographe n’a pas été corrigée sur ces SMS pris au hasard sur les réseaux. Il n’a aucune idée des caractéristiques de ses personnages...
Delafeuille chercherait plutôt une femme moderne, active, de notre temps, mais où la trouver ?
Besoin de souffler, Delafeuille se rend à la campagne, chez Luc, un de ses auteurs, un ami. Il est accueilli par Delphine, la femme dudit auteur lequel, justement, est en train d’écrire un roman sur sa compagne. De suite le courant passe entre eux (platonique, ça va de soi). Il est fasciné par cette femme qui mène une vie tout à fait orthodoxe : ménage, repas, courses, 4x4, jardin, aux ordres de son mari qui certainement la trompe... C’est une femme cultivée qui prend plaisir à la compagnie de l’éditeur. D’ailleurs Luc s’absente et laisse sa femme avec son ami. Il arrange même un séjour au ski sans lui : Delphine, son fils Tommy et Delafeuille de plus en plus troublé par cette femme.
Or voilà, il ne sait plus s’il est réel ou simplement un être de papier sorti de l’imagination de Luc qui aurait écrit le Dernier Thriller et L’espion... Le lecteur n’en sait rien non plus. Des faits réels se mélangent à la fiction (la Covid, les masques puis les Gilets Jaunes...) et le doute persistera jusqu’au bout car il trouve dans le roman de Luc des répliques qu’il est en train d’échanger au moment où il lit.
Chomarat n’est peut-être pas « génial », en tout cas, il est fort habile.
Comme dans un miroir qui fait face à un autre miroir où notre image est démultipliée à l’infini, le propos finit par devenir étourdissant. L’auteur en profite pour dresser une critique très subtile de notre société, de notre époque et du monde de l’édition, de ses rouages où tout parait récupérable, y compris le pire, pourvu qu’il y ait du chiffre.
Voici ce que répond sa directrice commerciale à la question de Delafeuille.
« Mais est-ce que nous n’avons pas envie de découvrir un bon texte ?
— Un bon texte est un texte qui se vend. Que voulez-vous, on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments »
Et si ce roman, drôle, délicieux, sarcastique, critique réfléchie et même romantique devenait le Livre de la Rentrée 2023 ?
Le facteur