En relation avec le dossier Stephen King
Que d’empathie chez ce tueur à gages !
C’est 551 pages que Stephen King nous invite à partager avec lui autour de Billy Summers, à la fois tueur à gages de haute précision et écrivain. Hé oui, c’est possible... Voyons comment.
Billy Summers est engagé par Nick Majarian, malfrat de haut vol, qui lui déjà commandité plusieurs assassinats. Car oui, Billy est un tueur à gages, capable d’exécuter un contrat très loin de sa cible. Billy l’idiot -c'est ainsi qu’on le surnomme et déconsidère- passe pour un des meilleurs de sa profession, capable d’exécuter une cible à sept-cent cinquante mètres de distance, voire plus ! Avec un fusil d’ultra haute précision. Billy est un gentil tueur qui ne tue que des méchants.
Ce contrat-ci sera son dernier ! Il veut finir en beauté et Nick lui a promis deux millions de dollars, dont cinq-cent-mille d’avance.
La cible, c’est Joel Allen, autre tueur à gage, un méchant, lui, actuellement emprisonné, attendant son procès qui va se dérouler à Red Bluff, une petite ville du nord de la Californie. Procès au cours duquel il doit faire des révélations.
Son transfert ne devant se dérouler qu’au bout d’un temps indéterminé, Nick a fait appel à un magnat local Ken Hoff qui va tout préparer pour Billy et lui fournir l’arme de précision qu’il utilisera pour éliminer sa cible à un kilomètre de distance. On a loué pour l’exécutant un appartement et Hoff lui a fourni un bureau dans un de ses immeubles, offrant un parfait angle de tir vers les marches du palais de justice. Sa nouvelle identité sera David Lockridge et il sera un écrivain en résidence, payé pour produire un premier roman sur un temps indéterminé. Il travaillera à son roman dans son bureau et vivra une vie tout à fait ordinaire dans sa maison...
Mais Billy, pas si idiot que ça, flaire un coup fourré de Nick qui lui propose un plan d’évasion, clés en main, ce qui ne s’est jamais produit auparavant. De plus, Hoff paraît très peu fiable malgré son entregent à Red Bluff, ses immeubles et ses filles... D’emblée un maillon faible. Summers va donc jouer le jeu de l’écrivain, se rendant au bureau tous les jours à heure fixe... Mais il se prépare une sortie de secours. Il loue un sous-sol dans un autre quartier, déshérité, où il se rend de temps en temps à bord d’un autre véhicule. Il se forge une deuxième identité, totalement discret. Il devient ponctuellement Dalton Smith, un VRP toujours en déplacements.
Voilà donc Billy en attente... longtemps... Finalement, il se met à écrire. Sa vie, à la première personne. Il commence par un épisode fondateur : il a 11 ans. Une scène effroyable: le petit ami de sa mère, ivre mort, en furie, tue sa petite sœur, à coups de pieds. Billy, pour sauver sa propre vie, trouve une arme de poing et tue le méchant homme. Sa vie se partagera désormais entre les familles d’accueil, tant et si bien qu’à 17 ans, il s’engage dans les Marines.
Notre héros se prend au jeu de l’écriture ; il raconte peu à peu comment il est devenu un sniper redoutable, surpassant tous ses camarades à l’entraînement. Ensuite il part en Irak, période très éprouvante où il perd des camarades, après avoir égaré son talisman, un chausson d’enfant trouvé sur un charnier...
L’écrivain en herbe se prend aussi au jeu de l’empathie. De barbecues en invitations réciproques, il sympathise avec ses voisins -on se croirait dans Desperate Housewife. Pour la fillette de l’un d’eux, il décochera une peluche de flamant rose à une fête foraine (erreur pense-t-il après, il n’a pas intérêt à montrer ses talents de tireur). La fillette lui dessinera un flamant, image qui remplacera dans le présent le minuscule objet d’Irak, un nouveau fétiche protecteur. Il se forge une identité d’américain moyen et travailleur, essaie de se fondre dans la banalité.
Plus tard, dans la maison de Dalton Smith, il secourra une jeune femme violée par trois tristes sire...
Voilà l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur ce beau roman, « À la fois thriller, récit de guerre et déclaration d’amour à l'Amérique des petites villes » nous dit la quatrième de couverture. C’est totalement vrai. King ne craint pas de déstabiliser son public habituel. Il écrit un thriller, loin de toute tentation fantastique ou SF. Récit complexe par une narration alternant l’autobiographie écrite par le personnage devenu narrateur (récit de vie-récit de guerre) et roman du quotidien dans un quartier aisé d’une ville américaine moyenne dans tous ses aspects (entreprise, quartier aisé ou déshérité). Mais plus encore, c’est le roman d’un écrivain au sommet de sa maîtrise et qui nous entraîne avec beaucoup d’empathie, à l’image de son héros, un tueur sympathique, un gentil qui tue les méchants, encore plus méchants que lui. Ce qui reste à prouver, bien sûr, sinon ça serait trop facile.
En même temps, ce diable d'auteur se livre à une réflexion sur l’écriture avec cette mise en abyme (pas la première fois qu’il choisit un écrivain mais l’écrivain n’est pas pris en otage cette fois).
Ne vous inquiétez pas des 550 pages, même si vous avez un peu de mal à entrer dans le récit, n’hésitez pas plongez ! Si vous l'avez manqué en 2022, ne manquez pas ce beau livre, neuf ou d'occasion, en e-pub, en médiathèque, peut-être bientôt en poche (?).
Billy Summers, Stephen King, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, Albin Michel, sept 2022
Boris L., le facteur 813