L’avant dernier, nostalgie...
On le sait déjà depuis quelque temps : Andrea Camilleri, décédé en juillet 2019, à l’âge de 93 ans, avait écrit son dernier ouvrage mettant en scène Montalbano, une sorte de testament. Le Fleuve noir a publié cet automne 2024 l’avant-dernier roman — avant cet ultime —, le trente-deuxième : La Méthode sicilienne, traduit, comme il se doit, par Serge Quadruppani Et je les ai tous lus !
Montalbano est tiré de son rêve par un coup de fil de son second, Mimi Augello qui veut le voir de toute urgence. Celui-ci lui raconte la mésaventure qui vient de se produire. Il lutinait une conquête chez qui il se rendait régulièrement quand le mari est arrivé. S’habillant en toute hâte, il est passé par le balcon et a atterri sur celui d’en dessous (on est en plein vaudeville). À l’étage inférieur, dans le noir, il découvre le voisin tout habillé, raide mort sur son lit. Il s’enfuit.
Parallèlement à cet épisode, le lendemain matin, ailleurs, un cadavre fait surface, mort, semble-t-il, dans les mêmes circonstances : tout habillé et raide dans son lit. Bien sûr, l’autre cadavre vaudevillesque a disparu. Ce qui facilite l’enquête car celui-ci n’était pas répertorié mais une énigme de plus à résoudre…
Il s’agit d’un homme de théâtre, metteur en scène d’une compagnie d’amateurs, adepte de la méthode Stanislavski. Extrémiste, il consacrait un temps fou à choisir ses acteurs, leur proposant à chaque fois un stage d’immersion totale de plusieurs jours pour les pousser jusqu’au bout dans leurs derniers retranchements. Parfois même pour ne pas les choisir. On n’en dira pas plus.
Un autre fait, Montalbano tombe amoureux d’une belle jeunette, Livia est loin, il refuse qu’elle vienne à Vigata et voilà notre commissaire qui se métamorphose : nouveau stock de chemises, cravates et costumes, chaussures coûteuses, coiffure maîtrisée (et un peu gominée)...
Ce Montalbano-là m’a ému dans sa volonté, un peu ridicule, de rester jeune. On peut dire que j’ai du mal à accepter sa disparition, bientôt, de nos librairies. J’aimerais que les jeunes générations le rencontrent, lui, ses colères, son équipe où Fazio prend une place de plus en plus importante. Sans oublier Mimi et surtout Catarella, as de l’informatique, qui ne sait pas retenir un nom propre correctement et ne peut ouvrir une porte sans faire trembler tout l’immeuble. Avec son langage à lui, le camillerese selon Serge Quadruppani dans la lettre ouverte au commissaire Montalbano par son traducteur qui précède le roman.
Bien sûr, il faut évoquer le plaisir de la bonne nourriture, celle, délicieuse, que lui prépare toujours Angelina et qu’il trouve toute prête dans le four ou le réfrigérateur chaque fois qu’il en a besoin. Une phrase qui résume bien ce personnage si attachant :
« Vu et considéré qu'il n'arrivait vraiment nulle part, le commissaire décida que la seule chose à faire était d'aller manger. »
Le dernier mot à Camilleri dans sa note de l’auteur, finale :
« Les vers cités dans le présent livre sont respectivement de Patrizia Cavalli, Pablo Neruda, Wisława Szymborska.
Je répéterai jusqu'à l'épuisement que les personnages, leurs noms, les situations dans lesquelles ils se retrouvent, les raisonnements qu'ils tiennent, les réalités qu'ils vivent, sont tous de mon invention.
Ne sont pas toutefois de mon invention certains faits politiques qui aujourd'hui sont des réalités mais qui à l'époque de l'écriture apparaissaient aux yeux du commissaire comme un cauchemar.
Je remercie le général Enrico Cataldi pour quelques précieux conseils.
Merci, comme toujours, à Valentina* pour son inappréciable contribution .
A. C. »
Merci Montalbano de m’avoir accompagné depuis toutes ces années (La Forme de l’eau, 1994, trente ans !). J’attends avec impatience et nostalgie ton roman testament.
La Méthode sicilienne, Andrea Camilleri, traduit par Serge Quadruppanni, Fleuve Noir, 2024.
Le Facteur 813
* Devenu aveugle, c'est à elle qu'il a dicté tous ses derniers romans.