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Publié par blog813

     J’ai reçu récemment un SP des éditions Robert Laffont, accompagné de cette dédicace : 


     Mince, un ultime Ingrid et Lola, après l’ultime Camilleri ; tous deux pointés sur ce mois d’avril 2025. Titre Le Vin des sorcières. La  couverture montre des vignes, un château qui pourrait être bordelais, et nos deux héroïnes Ingrid la blonde et Lola la retraitée. Cette fois pas sur le side-car. Je me dis qu’après la Bretagne, le Pays basque, on dérive vers le bordelais (vu la forme des bouteilles). Troisième épisode post Viviane Hamy, des publications Laffont et leurs couvertures colorées.


     Entrons dans le vif du sujet : 


     Ingrid, alias Gabriella Tiger, se livre à une des créations qui stimulent le plus son imagination et où elle excelle, le striptease, au Calypso, boîte tenue par un Anglais Timothy qui lui propose de quitter la capitale pour le suivre en Angleterre ; elle pourrait y innover dans ses spectacles, laissant place à sa féconde imagination. Elle semble bien tentée par l’offre mais n’a pas encore fait son choix.  Son employeur doit renouveler la cave de Bordeaux de son club mais ne peut aller chercher les caisses de vin commandées. Il demande à Ingrid de s’y rendre à sa place. Celle-ci accepte et entraîne sa comparse Lola vers St Émilion (à proximité). 

     Présente-t-on Lola ? ancienne commissaire du 36 désormais à la retraite qui enchaine les puzzles de 1000 pièces pour briser la monotonie d’une vie plate. Elle ne se réveille que lorsqu’elle a un coupable à découvrir, et ce, depuis les huit précédents épisodes. C’est la comparse de toujours de la masseuse stripteaseuse. On retrouve ici tous les ingrédients habituels de la série qui nous a entrainés dans beaucoup d’endroits et de milieux sociaux. 
     

Départ. 

     Après un voyage éreintant pour la retraitée, le side-car s’immobilise dans la cour du Domaine Fareau, tenu par deux épouses vigneronnes qui confectionnent un vin bio du tonnerre : « Le Vin des sorcières » : Nadège et Karine. Elles s’organisent : l’une à la communication/vente et l’autre à la production. Tout pourrait rouler parfaitement, on prend la cargaison et on repart mais les filles ont envie de profiter un peu de l’Entre deux mers.

     Ingrid, après avoir assisté dans un des chais du domaine à une chorégraphie du Cabaret des vignes, destinée à accroître la clientèle de la maison Fareau, s’imagine déjà changeant tout ça. Quand bien même le spectacle fût-il de bonne qualité, il reste un peu vieillot et aurait besoin d’un bon coup de jeune.


     Seulement, les deux épouses, Karine et Nadège, sont confrontées à un autre viticulteur, un quasi voisin, Emmanuel Cassagne, grand producteur d’un excellent St Émilion : la Château de Marly. Une fortune, un château immense, Catherine, son épouse et sa fille Ludivine, lycéenne très douée en œnologie qui pourrait très bien prendre la succession de son père, mais retorse à sa vie en famille et amoureuse d’Axel, fils de Karine, qui travaille au chai de Cassagne. Dit comme ça, ça paraît complexe mais il n’en est rien.

     Une rivalité farouche oppose Cassagne et les deux productrices, question de cru, de pouvoir, de notoriété, de fierté même… pourra-t-elle aller jusqu’au meurtre ?

     Il va y avoir une disparition, celle de Ludivine, fille rebelle de Cassagne, une mort, celle d’un corps tombé (projeté) du haut de l’église. Puis l’intervention d’un duo de gendarmes : la commandante Babinet, peu amène, et son adjoint, Pique, très grand et moyennement performant. La cheffe, voyant mal Lola (commissaire du 36 avant de prendre sa retraite) empiéter sur ses platebandes… Les affrontements ne manqueront pas, du suspense, bien sûr, un peu d’humour, un récit totalement maitrisé  mais aussi tout autre chose.

     Car Dominique Sylvain a tout fait pour éviter d’écrire un roman cosy mystery au sortir d’un Fille du Poulpe (qui déjà se démarque des autres par sa personnalité littéraire-tout en respectant un cahier des charges précis). C’est le dernier épisode publié chez Laffont et pour les deux personnages dont elle a tiré huit aventures avant celle-ci. Et comme pour Gabriella, fille  adoptée de Lecouvreur, l’auteure échappe aux clichés.


     D’abord, cette lutte commerciale cache aussi des dissensions dans les deux familles ; il y est question de consentement, de pouvoir, de faillites autant pécuniaires que physiques, de dominations, de dysfonction  et même d’emprise… Le drame arrive d’une façon que l’on n’attendait pas. Quand bien même tout s’explique, le récit laisse en bouche un goût amer : tout n’est pas rose au pays du bordeaux haut de gamme, ni dans les familles.

     Et puis le style 


     Dominique Sylvain a un art certain du portrait. Par exemple en décrivant une dispute entre Cassagne (le grand patron plein de morgue) et Loulou son fournisseur en vendangeurs étrangers, vue par Lola : 


     Ces deux-là étaient très différents.
     Le plus âgé avait quelque chose de familier.
Impossible que je connaisse les gens du cru, pourtant, je débarque à peine !

     Elle le détailla. Et sourit. Ce quadra n'était autre qu'Emmanuel Cassagne. L'ensorcelant producteur de saint-émilion.
     Elle retint son souffle, puis se souvint qu'il était utile de respirer. Cet homme était encore plus remarquable en vrai qu'en photo.
     Parka kaki, écharpe élégante, pantalon de velours marron. Le vent chahutait ses boucles brunes en harmonie avec son teint hâlé, son sombre regard magnifiait ses joues sculptées et sa mâchoire carrée. Il se tenait aussi droit qu'un danseur. Peut-être ce port altier était-il sa façon d'écraser l'autre de son mépris.
     En fait, ce dernier n'avait pas besoin de ça pour souffrir la comparaison. De petite taille, les jambes légèrement arquées comme celles d'un cow-boy dépouillé de son canasson, des cheveux filasse d'un blond sale réunis en une tresse pendouillant tristement sur son blouson élimé, il lançait des œillades de chien battu au « danseur ».      Pour autant, il semblait enfoncer profondément ses poings dans ses poches pour éviter que ceux-ci ne vivent leur vie et pilonnent le beau visage de son interlocuteur. Diagnostic : il ne s'agissait pas d'une querelle, mais d'un savon. Le grand passait ses nerfs sur le petit. Lequel lui répondait par monosyllabes. Et lui aurait bien cassé la figure s'il avait pu se le permettre.

     À travers toute la série, on croise différents univers  et milieux (de Paris jusqu’en Afrique) et on sent une volonté pédagogique sans être trop insistante.

    Rends-toi compte, Ingrid, Bordeaux est la capitale mondiale du vin ! Avec deux mille ans d'histoire, au bas mot, eh oui ! Jusqu'au XVIe siècle, les Anglais étaient en pâmoison devant les clarets qu'ils importaient de là-bas.
    — C'est quoi ?
    
— De petits vins rosés qui ne cassaient pas trois pattes à un canard. Après ça, en gros entre Montaigne et Montesquieu, deux purs produits de l'Aquitaine — et le dernier ne se contentait pas de dénoncer l'esclavagisme, il cultivait des vignes —, les Bordelais se sont lâchés et ont commencé à produire des crus à se rouler par terre. (p.23)


     C’est moi qui souligne. J’aime aussi beaucoup son écriture fluide et souvent poétique, non dénuée d’humour : 

     La lune et les néons de la façade du cabaret éclairaient vaguement les vignes. Planqués dans un bosquet, des corbeaux se racontaient une histoire. L'air était chargé d'une humidité odorante. Lola prit une profonde inspiration, puis remonta son écharpe au ras de son nez. (p.77)


Ou encore

Le soleil s'était échappé de la prison des nuages. La tonalité de ses rayons s'était réchauffée. Il transfigurait le paysage en le recouvrant d'un châle doré d'une délicate légèreté. Mais cette vision idyllique ne tranquillisait pas Lola. Pour la bonne raison que le Kangoo des Fareau était devenu une sorte d'ambulance de l'angoisse. (p. 112)


     Dominique Sylvain sait construire un récit et n'écrit ni thriller ni tourne-pages mais ses romans portent sa marque, celle d’une autrice qui suit sa voie personnelle. Elle assure que son prochain roman sera tout autre chose.


     Cette ultime aventure nous privera de deux héroïnes sympathiques. La masseuse stripteaseuse et ses fautes de français, toujours reprises par la flique qui tue son ennui existentiel en résolvant des puzzles de 10.000 pièces mais plus encore en dénouant des énigmes policières. 

     Nous saurons retrouver Dominique Sylvain "Quoi qu'il en coûte" 😊


Maintenant, vous pouvez préférer le bourgogne. 

Le choix est tout à fait libre.

Sortie en librairie le 17 avril, c'est aujourdhui. Laissez-vous tenter.


Boris le facteur
 

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