Le coup de ♥ du facteur
Les faits : janvier 2009, dans la partie française d’Euskadi un commando de 5 hommes intercepte Jokin Sasco sur une aire de repos. Enlèvement puis séances de torture qui finissent mal. Les ravisseurs : deux Espagnols et deux Français... militaires ? nervis ? barbouzes ? Ce qu’ils ignorent, une caméra de surveillance les a filmés. Un homme les a vus mais ils lui ont fait comprendre qu’il serait plus sain pour lui d’oublier tout ça.
Les conséquences : Jokin Sasco était un porteur de valise d’ETA qui acheminait une valise pleine de billets vers Bordeaux. Localement, émotion de la famille qui signale sa disparition et organise des manifestations pour qu’on daigne le rechercher. Mais il faut dire qu’avec la tempête Klaus qui vient de sévir l’attention des médias et des forces de l’ordre est plutôt ailleurs.
Iban Urtiz , jeune journaliste de 27 ans, Basque par son père, débarque dans un journal local, Lurrama. Il ignore tout du « problème basque » car il vivait avec sa mère du côté des Alpes, et ne connaît même pas la langue, un eraldun. Il va se lancer dans une quête de la vérité, rechercher la Ford Fiesta de Jokin, faire le tour de tous les hôpitaux. Plus il avance, plus il est persuadé que le jeune basque est mort et enterré...
Les langues vont se délier : d’autres Basques, jeunes, ont été enlevés, enfermés, intimidés, et ont subi la torture psychologique et physique avant d’être relâchés. Son enquête va réveiller le souvenir de la Guerre sale qui a sévi au début des années 80 : enlèvements, tortures, assassinat de militants commandités par la Guardia Civil....
Ce livre se dévore. Marin Ledun fait preuve d’une maîtrise parfaite, appuyée par une solide documentation pour rappeler cette reprise d’enlèvements et de tortures de 2009 ; c’est une fiction mais des faits réels sont rappelés. Les chapitres sont courts et le suspense entretenu par le changement de point de vue à chaque chapitre : le protagoniste, son collègue caméraman, les barbouzes, les basques... et une écriture au présent de l’indicatif, à vif. On partage le point de vue « naïf » de l’eraldun et découvre avec lui la réalité et la complexité de ce pays réparti sur deux états. On parcourt dans tous les sens les routes du sud-ouest d’Hendaye à Bordeaux au fil de l’enquête et des déplacements des uns et des autres.
Comme dans presque tous ses romans, Marin Ledun dénonce la manipulation, l’annihilation de l’humain au profit d’intérêts personnels : pouvoir, argent, cause indéfendable... Les membres d’ETA ne sont pas non plus épargnés, faisant valoir la Cause et la communication avant la vérité.
Roman noir, thriller, Marin Ledun signe là, à mon avis, son meilleur roman depuis les Visages écrasés.
Marin Ledun, L’homme qui a vu l’homme, Ombres Noires, janvier 2014, 453 p.
Boris Lamot