Le coup de ♥ de Françoise
À l’heure où le service public radiophonique déroule le tapis rouge à certains hommes politiques français respectés et pourtant complices d’un génocide, il est un roman paru en 2018 qui semble essentiel pour aider à comprendre ce qu’il s’est passé d’avril à juillet 1994 au Rwanda.
6 avril 1994 : les présidents rwandais et burundais meurent dans l’attentat visant l’avion présidentiel.
La mort du président rwandais Habyarimana va être le prétexte pour déclencher ce qui sera le dernier génocide du XX ème siècle, le massacre des Tutsis par les Hutus : entre 800 000 et 1 million de morts en trois mois, massacrés, découpés, vivants ou morts, à la machette. Des chiffres ahurissants.
Les « cancrelats », c’est le nom que les Hutus donnent aux Tutsis qu’ils poursuivent dans les rues, dans les campagnes, dans les églises, poussés à la haine par la tristement célèbre Radio-Télévision des Mille Collines, instrument du « Hutu power » qui possédait déjà les noms de leurs futures victimes.
Voilà le fonds du roman de Frédéric Paulin Les Cancrelats à coups de machette.
Quand, 20 ans plus tard, en France, on découvre les corps horriblement mutilés de Hutus réfugiés, les soupçons se portent sur un ancien boxeur tutsi ayant miraculeusement échappé au massacre. La description des tortures subies par ceux-ci avant leur exécution, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est insoutenable : le coupable a vraisemblablement voulu se venger en leur infligeant ce que ces derniers faisaient subir à leurs victimes, hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards. Et l’on va se rendre compte, avec les enquêteurs, que l’armée française a laissé faire avec une étonnante indifférence, voire une bienveillance coupable mâtinée de complicité active.
Roman noir, thriller géopolitique, est-ce vraiment important ? Car l’enquête policière passe très clairement au second plan, le roman nous donnant à voir surtout l’expression du mal absolu et de la noirceur du monde.
Si le talent de Frédéric Paulin a explosé avec la trilogie Benlazar, ce roman, moins connu, mérite pourtant d’être découvert. Pour ses personnages intelligents et sensibles. Pour son écriture, sèche et efficace, sans aucune complaisance dans les descriptions. Et peut-être, surtout, juste pour ne pas oublier, à travers le prisme de la fiction, ce que certains voudraient tellement voir enterré.
Les Cancrelats à coups de machette, Frédéric Paulin, Goater Noir, 2018.
Françoise Croville