Hôtel Carthagène
Hôtel Carthagène. Simone Buchholz. L‘Atalante, collection Fusion, 2024. Traduit de l’Allemand par Claudine Layre
Chastity Riley est procureure à Hambourg et, à ce titre, elle mène des enquêtes, enquêtes que, nous lecteurs, suivons toujours avec un intérêt passionné. Chastity est une femme libre, une grande amoureuse, « désirante ». Le problème est qu’elle n’est pas toujours amoureuse du même, voire des mêmes. Autant dire que sa vie sentimentale est plutôt compliquée et, si elle arrive à l’assumer à grands coups de cigarettes et d’alcool, il n’en est pas de même pour ses amants, ex, actuels ou intermittents. Il y a là Klatsche et Inceman, justement les « intermittents ».
Ivo Stepanovic, l’actuel, lui, zone quelque part dehors, pas loin.
Nous sommes dans un bar luxueux, au dernier étage d’un grand hôtel : Faller, ex-chef de la police, à présent retraité, y a convié quelques anciens collègues et la procureure, pour une petite fête d’anniversaire. On est bien loin des bars pouilleux du quartier rouge, et Chastity n’est pas là pour mener une enquête, juste pour faire la fête et observer ce qui se passe autour d’elle. Ivo, lui, tarde à rejoindre la petite troupe, trimballant ses angoisses existentielles.
L’alcool coule à flots et Chastity se fait servir une pina colada : mal lui en prend car elle va s’ouvrir le pouce avec les feuilles de l’ananas du cocktail. Une petite blessure qui ne va cesser de s’aggraver tout au long de l’histoire.
Au début des années 80, Henning, lui, était un déclassé, un pauvre garçon traînant sa misère et son mal-être dans le quartier sinistre de Sankt-Pauli, bien loin à l’époque des lieux touristiques de Hambourg. Alors, lassé de cette existence sans espoir, un soir, il est parti, peut-être parce que « la misère serait moins pénible au soleil ». Il s’est embarqué sur un cargo, direction Carthagène, en Colombie. Soleil, chaleur, filles magnifiques… et cartels de la drogue évidemment. Un de ces lieux où l’argent coule tellement à flots qu’on ne le compte pas, on le pèse. Et un jeune Allemand naïf venant d’un grand port européen, cela ne pouvait qu’attirer les trafiquants. Henning a aussi rencontré son grand amour, Mariacarmen, et ils ont fait leur vie ensemble. Jusqu’au jour où...
Retour au présent : alors que la petite fête d’anniversaire commence à peine, un commando dirigé par celui que Chastity appellera « Numéro 1 » fait irruption dans le bar et prend tout le monde en otage. Comme on le voit, ici pas d’enquête mais un rythme de thriller pour ce huis clos qui va aller en s’accélérant au fur et à mesure que l’on comprendra le lien entre les aventures d’Henning et la prise d’otages de l’hôtel. Les chapitres vont être de plus en plus courts, l’écriture alternant la voix de Chastity et le récit objectif des faits tels qu’ils se passent, dans l’hôtel et dehors où les forces de l’ordre tentent de sauver les otages.
Le style sec, nerveux et resserré, non dénué d’humour noir même dans les situations les plus désespérées, comme toujours chez l’autrice, nous réserve quelques surprises d’une grande poésie quand la fièvre monte. Car oui, la fièvre va beaucoup monter, au point qu’on ne saura plus très bien où est la réalité, brouillée comme dans l’esprit de ces « cassés de la vie » qu’aime Simone Buchholz avec toute l’empathie qu’elle sait nous faire partager pour ses personnages.
Simone Buchholz disait, il y a deux ans (voir 813 n° 142, printemps 2022) qu’elle ne pouvait pas faire disparaître Chastity. Qu’en est-il aujourd’hui ? Au lecteur de le découvrir.